Je voudrais savoir au nom de quelle impérieuse morale ou indiscutable vérité, il soit défendu de considérer que le peuple puisse être con ? Plus encore, j'aimerais que l'on me prouve que nourrir une telle opinion justifierait notre absence de considération pour ce même peuple, voire notre ardent refus quant à servir sa cause et à le défendre face aux puissants qui le malmènent ?
J'ai en effet remarqué lors de quelques joutes intellectuelles que je cédais plus que de raison à des précautions de forme lorsque je ressentais le besoin d'exulter un peu de colère face à la bêtise populaire. Bien sûr l'adage est connu et n'est pas totalement dépourvu de sagesse : nous sommes toujours le con de quelqu'un d'autre. Je ne fais donc pas exception à la règle et d'ailleurs bien des gens pourraient témoigner que je suis réellement un sale con, un être buté qui n'écoute que lui-même. Reconnaissant cette accusation à mon endroit comme étant fondée et acceptant que cela puisse porter atteinte à la sympathie qu'il est paraît-il bon de susciter, je pense pouvoir désormais faire le procès du peuple, en ayant donné les gages à la défense, que je n'ignore pas participer de cette bêtise collective.
Alors commençons par la preuve la plus manifeste de notre idiotie partagée :
Cela fait des siècles et cela malgré notre multitude face à un petit nombre d’oppresseurs, que nous acceptons docilement notre asservissement. C'est à n'y rien comprendre ! Oh bien sûr, il y a toujours eu quelques empêcheurs de tourner en rond qui résistaient autant qu'ils appelaient à nous soulever. Mais ce sont rarement ces derniers qui furent à l'origine des révolutions. Pour dire vrai, il y a des périodes de l'Histoire, où la multitude fatiguée de concéder trop de son bien-être alimentaire et social, se soulève, prête à en découdre avec les puissants. C'est alors qu'elle constate son impuissance, revient dans ses chaumières, vexée de n'avoir rien obtenu et jurant qu'on ne l'y reprendrait plus. Alors quoi ? Résister c'est perdre ? C'est s'exposer aux blessures et aux privations ? Tout cela pour ne rien obtenir ? Mais pourtant ce pavé jeté sur un policier aurait dû suffire à faire entendre nos revendications ? Oui je sais qu'il y a quelques marginaux qui appellent depuis longtemps à la Révolution. Moi je suis sorti dans la rue, car tout coûte désormais trop cher. Quoi, cet exalté veut renverser le tyran comme le capitalisme ? Au fou ! Je ne suis là que pour négocier une petite réduc sur ma servitude mon bon monsieur ! Pourquoi ne faudrait-il pas discuter avec le tyran ?
Ce qui m'amène à la seconde preuve de la bêtise du peuple :
Lorsqu'il se révolte, il se refuse à pour le moins se mettre en situation de gagner !
Lorsqu'il se révolte, il se refuse à pour le moins se mettre en situation de gagner !
La dimension tactique, politique, stratégique, qu'est-ce qu'il s'en fout bien le peuple ! Regardez ces masses de braves gens descendre dans les rues, gueuler leur colère, subir la répression féroce de la tyrannie en exercice, puis abandonner Paris et les grandes villes au silence de la nuit. Pas un bâtiment officiel n'aura été occupé ! Pas un seul régiment ne sera visité du peuple pour en appeler aux armées ! Le parlement et les médias seront scrupuleusement évités ! Et les quelques-uns qui appelleront à de telles initiatives, subiront les quolibets ou pour le moins l'ignorance du plus grand nombre. Car le grand nombre se moque de savoir ce qui mérite d'être occupé pour déstabiliser le pouvoir. Le grand nombre veut juste s'assurer de se réunir là où le grand nombre est. On organiserait une très grande manifestation au milieu d'un champ, le grand nombre, docilement s'y présenterait. Ainsi donc, durant ces grandes crises sociales et politiques, il se trouve des idiots ou des collabos s'exprimant un peu mieux que d'autres, qui appellent les foules à converger là où le gouvernement n'est pas. On leur fait confiance sans trop se poser de questions... Ecoutez comme ce tribun de la plèbe, cet avocat ou cet oligarque repenti parle si bien ! Nous refusons toutes les formes de chefferies, mais ces gens là, comprenez, ça n'est pas pareil ! Ils sont de toutes les manifestations, et ils parlent si bien ! Comment osez-vous les critiquer, remettre en question leur loyauté, leur intelligence ? Allez donc au diable !
Et voila pourquoi les révolutions consistent en un rapport de force par avance perdu entre des masses de civils désorganisés, et une police formée au maintien de l'ordre, bien équipée, armée et en nombre. Mais jamais un rapport de force entre le peuple et son oligarchie plus directement. Nous pourrions convenir que la tactique n'a plus de grande importance lorsque le peuple tout entier vient déborder la maréchaussée. Mais nous tenons ici une autre preuve que le peuple est con : alors qu'une part signifiante de lui-même se décide enfin à se soulever, l'écrasante majorité se contrefiche totalement de la Révolution entamée et ne la soutiendra jamais.
Car les candides et les hypocrites pourront toujours mystifier le peuple et sa grandeur, la réalité est que celui-ci est désintéressé de tout. Chacun se contente de peu, c'est à dire du pain et des jeux à même de distraire un esprit que l'on voudra maintenir idiot. Réfléchir, apprendre, s'instruire, c'est se faire du mal. S'intéresser à la chose politique, aux malheurs du monde, à sa propre condition sociale, c'est s'imposer des efforts cérébraux tout à fait inutiles. Et pour peu que son frère, sa propre mère, son ami ou son épouse se décide à embrasser la cause révolutionnaire, voila bien du soucis que ces derniers nous causeront. C'est presque une trahison à son désir de quiétude. Alors quoi ? Il nous faudrait nous aussi nous révolter ? Il nous faudrait nous aussi comprendre et nous intéresser ? Cela alors qu'il y a tant de frivolités sur lesquelles s'assoupir ? Et si cela ne peut suffire à un quelconque découragement, n'y a t'il pas des responsabilités professionnelles et familiales, à tenir ? Non ô grand dieu non, pourquoi diable faudrait-il se mêler de Révolution ? Chérie, passe-moi donc ton corps, le sel et le programme TV, que je sache avec quoi je vais m'abrutir ce soir.
Je viens de le dire et reste ferme sur la question : le peuple est con. Une très grande part de celui-ci voit en l'instruction personnelle, toutes les sources de sa propre fatigue mentale. J'entends d'ici la défense me faire parvenir ses objections :
Allons, que ne suis pas de mauvaise foi ! L'on sait que les puissants veillent à notre abrutissement ! Réduisons le niveau de culture générale, assurons-nous que seul un petit nombre connaisse les lois, ne rendons pas la philosophie et les sciences économiques trop accessibles aux futurs citoyens en devenir. Et que la réflexion, l'étude, la lecture, soit considérées comme punitives, ainsi nous soumettrons bien mieux le peuple. Divisons-les très chers ! Et faisons leur goûter à toutes les passions ! Matraquons-leur les idées qui nous sont favorables, et assurons-nous que tout sentiment d'unité leur soit étranger ! Individualisons, communautarisons, sacralisons l'insignifiance de leur propre vie, et rappelons-leur la consigne : consomme, achète, sois dans le vent, nous te montrerons la tendance ! Tu payeras très cher ton uniformisation, mais tu seras socialement acceptable et peut-être même désirable ! Tu es l'individu roi et vide, un clone portant l'uniforme qui sera déjà obsolète dans sa taille et ses couleurs dès l'automne prochain. Mais rassure-toi, les soldes arrivent pour que tu puisses accéder à notre nouvelle collection. Non, pose ce livre, il te détourne l'esprit, regarde donc cet écran de couleur ! Il y a de la violence, du sexe et des bons sentiments. Regarde encore, c'est bien, te voila distrait, nous allons pouvoir rendre malléable ton cerveau pour exciter chacun des neurotransmetteurs éveillant ton désir, tu voudras bientôt un verre de notre meilleur soda ! Tu considèreras cette auto à même de valoriser ton statut social. On veillera même à te donner l'envie de t'endetter pour t'accaparer ta dose de conformité. Repose ce livre je t'ai dis, écoute-nous, regarde-nous, obéis-nous !
Assez !
Quel est le propre de l'Homme, si ce n'est de pouvoir s'affranchir par lui-même de tous ses conditionnements naturels et culturels ? Notre Liberté ne tient-elle pas de notre pouvoir de leur dire non ? De chercher la beauté du monde et l'ivresse de la Vie, loin de leurs promesses matérielles et plus encore de la conformité sociale ? Ne naissons-nous pas pour jouir des immensités philosophiques et naturelles ? Ne prenons-nous pas plaisir à méditer l'existence de Dieu devant un feu qui crépite sous un firmament qui se rit de nos questions ? N'est-ce pas le son de la guitare de l'ami qui nous donne envie de chanter ? Et ce tambour qui palpite ces rythmes lancinants, n'est-il pas une invitation à danser ? Regarde-le, regarde-là, vous êtes beaux tous les deux, et vos yeux brillent, cela se voit. N'est-ce pas votre baiser échangé qui est la réelle ode à la Vie ? N'est-ce pas là votre plus grand vertige ? Est-ce que tout cela se paye ? Vous faut-il une autorisation ? Quoi je te distrais ? Tu as bien raison, je m'éclipse, ce que tu lis te rendras toujours moins con !
Que dit la défense de l'artificialisation de nos sentiments ? De nos grandes questions existentielles pétrifiées ? De l'avachissement de notre humanité ? Que dit-elle des cages à lapin où nous nous enfermons pour rire gras de la bêtise d'un candidat de "télé-réalité" ? Avons-nous l'obligation de célébrer la grand messe de notre crasse télévisuelle quotidienne ? Cette automobile rutilante nous était-elle si indispensable ? Est-ce qu'Eve n'est désormais plus qu'un cul et Adam, un tas de muscles ? Que dit la défense de notre désintérêt volontaire quant à ce que dit le politicien avec tant de condescendance ? Pourquoi celui-là parle avec ses amis de chaussures et jeux vidéo, alors qu'à quelques centaines de mètres de lui, nos héros défient dans la rue le gouvernement ? Pourquoi cette connasse se pavane devant les vitrines des commerçants, lorsque derrière elle, un cortège constitué de toute la colère du monde, est en train de défiler ? Pourquoi son indifférence ? Pourquoi ne se sent-elle pas incluse dans le combat que livre ce qu'il nous reste d'humanité, face aux cyniques qui réfléchissent déjà au prix de l'air qu'il faudra bien un jour fixer ? Mais qui est cette connasse ? Qui est ce jeune con ? Et vous dites qu'ils font partie d'un très grand peuple ? Mais de quelle puissance collective et morale, me parlez-vous ?
Vous aurez beau me le dire avec des trémolos dans la voix et les plus nobles mots ; vous aurez beau l'asséner du haut de votre grandeur morale et spirituelle ; vous aurez beau le dire et le répéter que ce peuple n'est pas idiot, mais je vous dénierais ce mensonge éhonté !
Le peuple est moche ! Il est plein de crasse intellectuelle et toujours ravi de s'ébrouer dans sa fange ! Le peuple est con ! Il se plaint de sa servitude aux petits chefs, mais se donne au premier beau parleur venu ! Le peuple se complet dans la pornographie commerciale et l'uniformité ! Le peuple est la putain servile de tous les manipulateurs et cyniques, de tous les psychopathes encravatés qui lui vendent de la guerre humanitaire et la privatisation de l'air qu'il respire. Le peuple consent, il consent ce con, je vous dis ! Alors rangez-moi vos belles gueules indignées ! Vous contribuez de la laideur du peuple avec votre hypocrisie et vos bons sentiments !
Moi je l'aime mon peuple !
Sans le mystifier, sans l'embellir, sans le trahir !
Je lui parle vrai et je le défends même face aux puissants puisqu'il est si con !
Je lui parle vrai et je le défends même face aux puissants puisqu'il est si con !
Toi, avec ta grande gueule et tes grandes valeurs, tu le réduis. Tu le mets dans ta petite boite - oui la tienne propre - tu le rabougris à ce que tu crois être, à tes propres mensonges, à ta propre fange.
Allez, la parole reste à la défense...
« On ne force pas à boire un âne qui n'a pas soif »
RépondreSupprimerLe constat n'est malheureusement pas récent : mais alors la question à poser n'est peut-être pas de chercher pourquoi il en es ainsi, mais peut-être « Comment faire évoluer les choses ? »
Et là, il n'existe qu'une seule réponse, il n'y a qu'une seule manière de faire, le résultat sera pourtant aléatoire et surtout lent : montrer l'exemple, ou formulé autrement, « Bien faire et laisser braire. ».
On essaye, et si ça ne fonctionne pas, c'est certes frustrant, mais c'est aussi parce qu'on a sans doute pas employé la méthode appropriée, donc il faut chercher une autre voie.
Une chose que les cons n'accepteront jamais: Avoir faim...
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