vendredi 7 juin 2019

La surface des choses


J'écris ce billet à la veille du dernier rassemblement que j'organise avec mes camarades dans le cadre des Gilets Jaunes, et plus largement à l'issue d'un long chemin de croix militant qui a été le mien durant près de 10 années.

Autant vous le dire, je suis pessimiste pour les années à venir.

« Les Gilets Jaunes » est un mouvement qui a fait la démonstration que le peuple français n'est pas tout à fait endormi. Cela après plus de cinq décennies de déconstruction méthodique des acquis sociaux et démocratiques dont nous avions hérité sur près de deux siècles. Nous n'étions pas en régime démocratique sous la Vème République, et le Système économique et social dans lequel nous étions inscrits, n'était rien d'autre qu'un ensemble de concessions obtenues auprès de puissances d'argent. Ces dernières jusqu'au milieu des années 70, ont en effet préféré rester discrètes et humbles face à la misère dont elles se savaient largement responsables. Puis la cupidité a repris le dessus, adossée à des velléités impérialistes de la part d'un certain nombre de puissances étrangères. La France, hyper-puissance diplomatique et politique dans le concert des nations, traînait derrière elle un héritage culturel et historique qui ne pouvait que contrarier tous ces intérêts prédateurs. Mais pour l'avantage de ces derniers, nos élites de tous temps ont toujours été très sensibles à la corruption et peux enclines à défendre l'intérêt national. Voici donc que nous arrivons au bout d'un long et pernicieux processus de démantèlement de l'Etat.  Et si en apparence nous sommes toujours sous la Vème République, la Souveraineté Nationale garantie par le titre premier de notre constitution, est désormais totalement abolie, ou du moins transférée à la Commission européenne. Nous n'avons donc plus de Constitution, ou du moins pas d'autre que celle que nous avions refusé en 2005 par référendum. Et le démantèlement de la France est en cours de finalisation sous le Régime Macron.

Si la question de l'Union européenne et de la contradiction de ses asymétries économiques, monétaires et politiques, laisse quelques espoirs d'une future crise à même d’annihiler toute crédibilité à une oligarchie qui aura défendu avec un fanatisme ardent l'euro et plus globalement une technostructure vouée à asservir les nations, dans l'attente, le calendrier que cette dictature nous impose, reste honoré par son serviteur le plus zélé en la personne d'Emmanuel Macron.

La majorité des Gilets Jaunes, et plus globalement des Français, reste cependant peu intéressée au-dessous des cartes. Il est vrai que s'éduquer sur le Droit, l'Economie, la Monnaie, l'Histoire ou la Géopolitique, cela demande du temps que tout le monde n'a pas forcément. Mais cela demande aussi une curiosité que très peux partagent. Pour la majorité des Français comme de nos représentants, il est préférable d'en rester à la surface des choses. Au pays des Lumières, a succédé le règne du consumérisme aussi idiot que capricieux. "Du pain et des jeux", le peuple n'a jamais aspiré à plus d'élévation que cela. Et si jusqu'au milieu du siècle dernier, il restait encore un peu de transcendance et une certaine idée de la vertu du fait d'un catholicisme qui n'était pas tout à fait éteint, aujourd'hui, ce qui restait de nos repères spirituels ayant eu cours sur près de 1500 ans, est désormais démoli à la pelleteuse quand on ne brûle pas des cathédrales de façon « accidentelle ».

Le peuple français n'existe finalement plus que par une langue partagée. Mais plus par un sentiment d'être le légataire d'une histoire et plus encore le dépositaire de l'avenir de nos générations futures. Qu'on observe nos enfants : ils exigent leur playstation et des fringues d'une grande marque, tout en restant insouciants des périls qui menacent leur existence. Leurs parents aussi du reste. Ô biensûr nous avons bien une petite bourgeoisie qui s'achète une bonne conscience morale en votant « écolo », car ce qui compte en France, reste définitivement les apparences. Pas de mettre le nez dans la réalité. Rien n'est plus hostile à la planète que soutenir des traités européens violemment libre-échangistes et productivistes, mais ça n'est pas grave. Quand on vote « écolo », on s'achète une dignité sociale à bon compte. Celle du type sympa qui contrairement à l'autre blaireau d'en face, dispose d'"une conscience". Une conscience cependant vide de toute volonté de comprendre les mécanismes macroéconomiques et politiques qui sont à la source des pires déprédations écologiques. Une conscience qui s'interdit de penser le bien commun et la fraternité avec son propre peuple. On est altermondialiste chez les "écolos". Quand bien même on ne connaît rien de la vision d'un Chinois ou d'un Ghanéen sur le monde, et qu'on vilipende ce salaud de Cubain un peu trop patriote, on reste "mondialiste" car il faut aimer tout ce qui est autre que sa propre communauté nationale. Le vote « écolo » ne vaut pas mieux que l'exigence de porter sur soi le dernier survêtement à la mode pour briller en Société.

Cependant, nous avons eu la crise des Gilets Jaunes. Que l'on s’enthousiasme un peu ! Voila le bon peuple des campagnes, pétri de bon sens qui s'est insurgé enfin ! Cependant, là aussi les apparences sont de mise. Rappelons que le point de départ n'est pas la colère contre une oligarchie qui asservit la France à tous les intérêts prédateurs. Ce ne sont pas nos guerres illégales menées au Moyen-Orient qui ont scandalisé les Français. Ni les trahisons constantes comme la vente de notre patrimoine industriel le plus stratégique à l'Allemagne ou aux USA. Non, c'est toujours "du pain et des jeux" qui motive notre indignation. Macron se serait borné à défiscaliser pour une année les produits pétroliers, tout en proclamant l'abolition définitive de la France en tant que désormais « région de l'Europe », il n'y aurait eu personne dans les rues. D'ailleurs, le Traité d'Aix la Chapelle n'a pas suscité beaucoup d'indignation chez les Gilets Jaunes. Mais attention, nous avons à faire à des Révolutionnaires, des vrais ! Ce qui compte outre la marque de reconnaissance au club (le Gilet Jaune), c'est d'être nombreux. Car c'est bien ça une révolution, c'est une foule en colère. Bon évidemment, nos foules préfèrent se balader dans les centres villes plutôt qu'assiéger des centres de pouvoir. Mais qu'importe, le but est d'être nombreux, pas de réfléchir à ce qui peut réellement porter préjudice à l'oligarchie au pouvoir. Et attention : en révolutionnaire cohérent avec la bêtise générale, on se refuse à déclarer toute manifestation en préfecture. Parce qu'il s'agit de faire la démonstration d'une rébellion. Un peu comme notre môme de 15 ans qui insulte ses parents lorsque ces derniers refusent de lui offrir sa playstation. Des vrais rebelles nos Gilets Jaunes. Ils donnent à la maréchaussée les justifications légales de les disperser dans la violence, pour le seul motif de faire valoir leur pseudo rébellion. De l'adrénaline à bon compte et la gloriole de pouvoir se dire « rebelle ». Mais pas d'objectif à atteindre. Pas de volonté de renverser les tyrans au pouvoir. Par contre, tous les blessés seront salués comme des héros dans un exercice de martyrologie, qui évidemment, ne peut qu'effrayer les Français qui auraient voulu nous rejoindre. Des martyres pour rien et qui auraient même pour certains d'entre eux, pu éviter un œil crevé ou une main arrachée, si tant est que les organisateurs de manifestations où ils se rendaient, s'étaient montrés responsables en déclarant leurs cortèges, pour ne donner aucune raison légale à la maréchaussée de pouvoir disperser en force les manifestants.

Mais non, il y'a des « déters » qui se prennent pour des révolutionnaires alors qu'ils ne sont que des ados attardés en mal de reconnaissance sociale. Ils se prennent pour des héros, veulent se confronter à la flicaille tout en admettant pas que cette volonté suppose d'être prêt à tuer ou alors assumer par avance la défaite et les blessés autour de soi.

Demain, nous serons sous les fenêtres des grands médias à nouveau. Cela pour la énième fois depuis 2015, où je ne cesse d'appeler qui veut bien, à assiéger ces institutions de pouvoir. Nous ne serons pas nombreux, notre insoumission est en outre si sage puisque nous déclarons nos cortèges et rassemblements. Mais nous sommes cohérents. Nous ne cherchons pas à nous acheter une dignité sociale, une aura de rebelle en carton-pâte, un statut de héros ou de martyre, mais bien à être au pied des studios dédiés à la propagande des puissants. Nous n'exigeons pas de Macron qu'il ait la gentillesse de nous accorder « plus de pouvoir d'achat » ou de « réduire les taxes », nous exigeons que ce criminel et toute sa clique soit destitué. Nous ne nous réclamons pas d'une écologie bon teint pour nous donner bonne conscience, nous exigeons de sortir de l'U.E, l'euro, et pourquoi pas de l'OMC et bien d'autres institutions qui promeuvent le libre échange et la privatisation de toutes les filières les plus stratégiques permettant à un Etat de mener une politique écologique digne de ce nom.

Certes, nos prétentions sont peut-être trop sages ou trop radicales. Nous avons peut-être le défaut d'une certaine constance voire de rigueur intellectuelle. Mais à bien y réfléchir et au regard de la lente décomposition du Mouvement des Gilets Jaunes, est-ce que nous avons tort d'acter et penser la Révolution ainsi ?

A demain pour celles et ceux qui ont compris, parfois depuis bien des années. A jamais pour les capricieux qui ne s'intéressent qu'à la surface des choses, et non à renverser une tyrannie au pouvoir.