samedi 26 septembre 2020

Anthropos

Notre dissidence politique est, par nature, profondément anarchiste. Pour la raison bien simple qu'elle refuse de s’assujettir à tous les conditionnements. Elle peut croire en Dieu, ne pas nécessairement vouloir abolir l’État ni même déconsidérer les logiques hiérarchiques qui prévalent à notre organisation sociale, mais elle croit en l'Homme. C'est à dire en la capacité que possède chaque individu de s'émanciper de tous les dogmes et d'exercer sa raison critique en toutes choses. L'anarchie est à ce titre un logiciel profondément humaniste. Mais inabouti...

Notre esprit ne réside qu'en nous-même. Ce qui suppose que nous avons une fâcheuse tendance à vouloir dupliquer ce que nous sommes sur autrui. Nous le pensons capable d'admettre notre conception du monde par ce que nous sommes certains de disposer d'une clairvoyance aux accents universels sur ce qui pourrait extraire l'Homme au-delà de ses propres conditionnements. Et bien souvent, nous  supposons que le simple fait que chacun accepte de s'émanciper de ses propres chaînes qu'elles soient télévisuelles, éducatives ou étatiques, suffira à élever l'humanité dans son ensemble. Du simple militant à l'intellectuel contemporain, notre dissidence condamne ce peuple moutonnier consentant à ses asservissements ou au contraire, le supplie de s'extraire du registre de la croyance sur ce que l'ordre établi lui martèle.

Et pourtant nous devons bien admettre être une minorité de la population à être parvenue, pour des raisons obscures que notre seule conscience ne peut sans doute pas suffire à expliquer,  à ne plus croire en ce que les politiciens, journalistes, experts et religieux de tous poils nous imposent de penser. Nous sommes d'une certaine façon en train de léviter au-dessus du monde, et nous le regardons courir à sa propre perte. 

Mais si beaucoup d'entre nous ne parvenons pas à prendre part à la Révolution qui vient, c'est parce que nous constatons notre incapacité permanente à influencer nos proches, nos collègues, notre famille et tout ces gens qui gravitent dans notre sphère sociale, à se déconditionner eux-mêmes d'une doxa qui nous est infligée quotidiennement. Le conformisme est partout. Y compris chez ceux qui se prétendent anarchistes.

Observez cet "antifa" qui se prétend lui-même anarchiste. Il est pourtant la plus pure caricature d'un zombie conforme à la doxa ambiante. Les puissants lui susurrent qu'il  n'est pas de plus noble cause que l'anti-racisme, et il fait de cette idée une bataille existentielle. Sa tribu portée par quelques sociologues et militants plus religieux que les autres, se farde de codes vestimentaires et lexicaux, et l'antifa les adopte immédiatement. Le Système lui fait savoir que le plus grand péril social est constitué par des gens dits "d'extrême droite" à partir de quelques critères bien définis, et l'antifa voit tout autour de lui des gens qu'il s'agit de déshumaniser par leur destruction sociale et physique si nécessaire. Or l'un des fondements de l'anarchie, c'est le respect de la diversité des opinions, des croyances, y compris celles qui peuvent heurter nos propres valeurs morales et spirituelles. L'anarchie ne peut être un régime totalitaire qui promeut la violence contre tout mal-pensant que quelques inquisiteurs fascisants et pleins de pureté idéologique, pointeraient du doigt.

Mais nous pouvons trouver bien d'autres caricatures. Aujourd'hui, de jeunes filles se scandalisent que leur établissement scolaire attendent d'elles qu'elles se présentent dans une tenue relativement sobre. Ce serait une atteinte à leurs "liberté individuelle". Pourtant, à bien y réfléchir, l'école n'est point un lieu où il s'agit de se valoriser par des artifices vestimentaires. Il ne s'agit pas de faire valoir que l'on est plus sexy ou plus en harmonie avec les canons de la mode que ses autres camarades de lycée, elles-mêmes sensibles aux mêmes us vestimentaires que soi. Cela parce que des stars et magazines spécialisés cherchent dans notre cerveau reptilien nos propres aspirations à la conformité. Oui, tu peux ressembler en apparence à ce mannequin et porter ce petit haut du dernier cri. Mais cela n'est point valoriser ta liberté individuelle, celle qui suppose l'émancipation de ta conscience au-delà de ce que ton environnement social et marchand promeut. Tes atours ne sont que l'indéniable preuve de ta volonté de conformité. On vient au collège ou au lycée pour apprendre. Et plutôt qu'un uniforme que l'univers mercantile te propose de porter pour te différencier tout en ressemblant pourtant à des millions d'autres jeunes filles, peut-être qu'un uniforme scolaire bien réel t'apprendrait comme à tes camarades masculins, à te distinguer plutôt par l'esprit. Car l'anticonformisme comme la liberté d'être, ça n'est jamais une question d'apparence.

Ce qui vaut pour des jeunes filles vaut en réalité pour beaucoup d'entre nous. Il faut travailler et être raisonnable. Il est une haute valeur contemporaine que de vouloir faire carrière. Un diplôme du supérieur et un métier fortement rémunérateur sont les meilleures distinctions sociales qui soient. De même que nous nous devons d'être tolérants avec ce qui suscite pourtant notre rejet sur le plan culturel voire civilisationnel. Sois aussi féministe, gay-friendly voire bisexuel(le) et androgyne que possible. Aime l'Europe - surtout celle promue par les puissants - oublie ta patrie mais sois plutôt altermondialiste. Ne mange plus de viande et de produits laitiers. Donne en revanche des leçons d'écologie à cet odieux paysan qui vit dans une campagne bien éloignée de ta station de métro. Porte ton masque pour "protéger" l'autre ! Sois conforme ! Obéis !

Des millions de gens qui pensent, jusque dans certaines de leurs activités sociales ou militantes, avoir acquis un supplément d'âme, ne sont pas autre chose que des zombies. Les médias et influenceurs de toutes sortes leur ont signifié ce qu'il est bon de croire ou penser. Et nos zombies se sont jetés à cœur et à corps perdus dans la cause du moment. Une masse plus considérable de gens, ne se laisse pas influencer tout aussi aisément par les maîtres de la bien-pensance. On peut même dire que cette majorité n'aspire qu'à la paix de l'âme qui peut se résumer en quelques mots : confort ; divertissement ; irresponsabilité maximale. Le confort se doit d'être autant matériel que mental. C'est à dire disposer d'un peu plus que du minimum vital pour s'autoriser le loisir du divertissement qui satisfera à son propre confort mental : celui permettant de s'affranchir de toute forme de réflexion. Par ailleurs, il leur est agréable de réduire au maximum le champ de leurs responsabilités sociales ou professionnelles pour ne jamais avoir à en subir leurs conséquences les plus pénibles. Cette masse vit sans exister. De la naissance à la mort, sa trajectoire est linéaire, sans aucune aspérité et absolument conforme !

Et voila qu'une petite fraction de la population, qui dès l'enfance était déjà boulimique de Savoir, évolue dans un troupeau de moutons blancs et arc-en-ciel et finit par sauter par-dessus les clôtures disposées autour du pré social. Elle regarde effarée ses contemporains continuer de brouter paisiblement ce que les médias, l'éducation nationale et les politiciens leur donnent à manger. Les brebis galeuses finiront intellectuels, écrivains, révolutionnaires ou ermites résignés. Les voila qui réclament la démocratie, le contrat social émancipateur, l'indépendance de la patrie et une certaine reconnexion à ce qui est essentiel. Les voila donc ostracisés par le reste du troupeau. Mais l'intellectuel, l'écrivain ou le révolutionnaire se veulent les nouveaux bergers tandis que l'ermite n'attend plus rien du troupeau, sinon qu'il lui fiche la paix.

Nous sommes ici précisément à la naissance même du sentiment anarchiste. Ce monde dirigé et façonné par les puissants les plus cyniques et malveillants qui soient, est une gigantesque entreprise à produire des êtres humains certifiés conformes et moutonniers. Le rejet des "maîtres" comme des dogmes en est évidemment la conséquence pour l'être sensible à la raison critique, et ne reste que la question du peuple à régler : on tente de convaincre le troupeau de s'émanciper alors que l'essentiel de ce dernier s'y refuse obstinément (c'est le parti pris de l'intellectuel et d'un certain nombre de militants) ; on compose sans le troupeau pour renverser l'ordre établi et instaurer l'Utopia qui élèvera l'essentiel du peuple hors de ses conditionnements (c'est le parti pris du révolutionnaire) ; on choisit de vivre hors du monde autant que possible, car il n'y a rien à espérer de la pédagogie populaire ou de la révolution (c'est le parti pris de l'ermite).

Je fais donc partie de la classe des révolutionnaires car à la différence de l'intellectuel, je crois suffisamment en l'humain pour lui reconnaître ses limites ordinaires. Après tout, de quoi sont nées les chefferies ? Du désir de confort mental et d'irresponsabilité maximale de la majorité des membres des tribus primitives. Autrefois, l'on désignait le meilleur chasseur, le plus expérimenté, le plus sage ou le plus habile guerrier pour prendre la responsabilité de la survie du clan tout entier. Et si le chef faillait à sa mission, on le sacrifiait volontiers pour apaiser la colère des dieux. Il était une époque où être chef n'était ni illégitime ni une position sociale enviée ou enviable. C'est une constante anthropologique et même pro-survie que d'être un individu lambda depuis la nuit des temps. Étienne de la Boétie cherchait les causes de la servitude volontaire dans l'incompréhension de cette dernière. En bon révolutionnaire, je cherche les leviers de l'émancipation populaire dans les causes les plus primitives de notre appétence à la servitude. Je ne prétends pas convaincre un âne qui n'a pas soif. Je prétends convaincre d'autres révolutionnaires de me suivre pour renverser l'ordre établi et forger l'Utopia ensuite. L'ermite et l'intellectuel ont chacun leurs raisons de ne pas nous suivre. L'un reste engoncé dans sa désillusion et son défaitisme, l'autre ne dispose pas assez d'empathie nécessaire pour comprendre M. Anthropos, cet autre être humain si conforme à ses semblables, qui ne s'élève que si son nouveau maître lui apprend à le faire malgré lui. L'anarchie est donc un logiciel inabouti, dès lors que ses penseurs et promoteurs, se refusent à regarder l'Homme, ce grand singe stupide et toujours aussi primitif, bien en face. Nous ne resterons et cela peut-être à jamais, qu'une minorité à jouir d'une conscience plus éveillée, plus encline à la perpétuelle remise en question de tout. Croire au mythe de l'individu-miroir de sa propre conscience et donc par lui-même capable de s'émanciper, ça n'est pas regarder l'Homme dans sa réalité objective et générale. C'est se regarder soi et transposer ses espérances sur autrui.

Certes, si l'élévation suppose d'abolir un ordre sur le déclin pour en bâtir un nouveau, les dangers qui ont concouru à forger la tyrannie du précédent, existent toujours bel et bien. Pour autant, si l'on peut espérer que l'humanité progresse malgré tout au fil des siècles et des idées qui la nourrissent, alors ayons un peu foi en notre bienveillance, notre lucidité et notre désir de faire au mieux, pour que nos enfants d'aujourd'hui puissent disposer des armes mentales, politiques et spirituelles nécessaires à leur propre émancipation, cela durant leur vie d'adulte. Nous ne sommes ni comptables des erreurs des générations passées, ni des reniements des générations futures. Nous n'avons qu'un rôle à jouer : empêcher les pires catastrophes à venir et poser les jalons d'une Société plus juste et bien mieux armée pour résister aux tyrannies de demain.

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