samedi 26 décembre 2020

Ginette fait barrage au Pangolin !

Ginette raccrocha furieuse le combiné du téléphone. Elle avait vécu comme un électrochoc la réponse du médecin : pour le moment, aucun vaccin contre le Covid n'était disponible. Il allait falloir patienter encore un peu le temps que l'ensemble des pharmacies soient approvisionnées. Mais Ginette était parfaitement résolue à trouver ce maudit vaccin. Quand Olivier Véreux avait annoncé à la télévision que ce dernier serait bientôt disponible, elle avait ressenti un profond soulagement.

Non pas qu'elle fut particulièrement inquiète s'agissant du coronavirus. Il n'y avait eu aucun mort dans son quartier ces derniers mois. A part peut-être le fils de Rolande qui avait eu un accident du travail. On s'était posé un instant la question de classifier le décès du jeune homme en Covid, mais il avait été estimé que manifestement, lorsqu'un corps vous arrivait en plusieurs dizaines de morceaux, il était très difficile de faire accepter à la famille que le coronavirus soit responsable du décès.

Non, Ginette n'a pas peur du coronavirus. Simplement, c'est une bonne citoyenne qui fait de son mieux pour faciliter la vie au gouvernement. Elle avait approuvé quand Macrotte avait dit qu'il suffisait de traverser la rue pour trouver du travail. Elle avait applaudit son téléviseur, lorsque le même homme avait adressé un message de fermeté contre les Gilets Jaunes. BFM, LCI, France Télévisions, Radio France, Europe 1 et RTL étaient tous très clairs à ce sujet : ce ne sont pas des gens en colère, mais des casseurs violents, adeptes des théories du complot et proches de l'extrême droite. Or, Ginette a toujours voté contre le Front National. Oh, certainement pas pour Mélenchon ou ces petits candidats dont elle s'est toujours demandé pourquoi on leur accordait du temps d'antenne. Ces gens n'ont jamais l'air sérieux, la preuve : ils sont peu médiatisés. L'essentiel est de voter pour quelqu'un qui présente bien, qui ne soit pas un populiste et dont les journalistes semblent considérer qu'il aura toutes les chances d'être élu. C'est la meilleure façon de faire barrage à l'extrême droite. Elle était ainsi très satisfaite d'avoir voté pour Emmanuel Macron, et plus encore lorsque celui-ci fut déclaré "élu" par la presse. Cela ne faisait que confirmer qu'elle votait avec bon sens et qu'au moins sur cet aspect de sa vie, elle faisait un peu partie des gagnants.

Ginette réfléchit un instant, puis se décida. Elle partit dans sa chambre récupérer son châle, sa muselière et son sac à main, attrapa au vol les clés de sa Twingo et descendit jusqu'au parking. Ginette roula une bonne heure depuis son village d'Eure et Loir, jusqu'à la Courneuve en Seine Saint-Denis. Bientôt les imposantes barres de béton de la Cité des 4000 lui firent face. Elle gara son véhicule sous l'ombre d'un platane et se dirigea directement vers une petite meute de jeunes criant fort devant un hall d'immeuble. Un peu intimidée, elle interrogea l'un d'entre eux :

- Vous n'auriez pas un vaccin tombé du camion ?
- Wesh ! Biensûr M'dame qu'on a ça ! Tu veux combien de doses ?
- Une seule, c'est pour moi-même.
- Viens, suis-moi ! lui répondit le jeune au teint hâlé.

Il entraina alors Ginette dans une cage d'escalier crasseuse et sentant la pisse. Il lui fit monter quatre étages, avant d'accéder au pallier débouchant sur deux appartements. Le jeune frappa lourdement sur l'une des deux portes. Un homme l'air patibulaire ouvrit, toisa quelques secondes Ginette et s'effaça pour les laisser entrer. Elle pénétra dans un capharnaüm où les odeurs acres de shit et de sueur se disputaient la primauté sur l'atmosphère. 

- Elle veut une dose, avertit immédiatement l'ange-gardien de Ginette.

L'hôte fit signe à cette dernière d'approcher. Il se planta devant une armoire blanche et expliqua à Ginette : C'est un super congélateur. Ca nous a coûté 15.000 balles pour pouvoir stocker à -80 °C les vaccins. Alors il nous faut du retour sur investissement. Donc si t'as des copines qui veulent se faire vacciner contre le Covid plus rapidement que les autres, t'hésite pas ! Tu sais où trouver ce qu'il faut désormais. Il sortit une dose du congélateur, Ginette crû voir un instant le saint Graal. Ses yeux brillaient de satisfaction. Elle tendit un billet de 500 € que le jeune homme lui arracha presque des mains. L'air soudain menaçant, il pencha sa tête contre celle de Ginette et lui dit :

- Qu'on soit clair toi et moi : si jamais tu joues les poucaves avec les flics, on te saigne.
- Que signifie "poucave" ? demanda Ginette, terrorisée. 

Son hôte répondit par un sourire méprisant et la congédia. Elle descendit l'escalier puant, traversa la meute de racailles qui vociféraient un morceau de rap évoquant avec entrain le meurtre de blancs, de flics ou érigeant les femmes au statut de "chiennes". Alors qu'elle se dirigeait vers sa Twingo, à quelques dizaines de mètres de là, Fred et Tonio observaient le manège qui se déroulait devant le hall d'immeuble. Fred appuya sur le bouton de son micro accroché à sa veste et demanda du renfort. Les deux hommes sortirent de leur véhicule et marchèrent à grand pas vers Ginette en présentant leur insigne de police. Déjà les racailles détalaient. Mais Fred et Tonio savaient qu'elles allaient revenir en nombre et armées, il ne fallait donc pas trainer. 

- Madame, je vais vous demander de nous suivre dit Fred à Ginette.
- Mais, je n'ai rien fait ! s'indigna le visage empourpré, la sexagénaire.
- Ecoutez, vous venez d'acheter une dose ? On va pas se mentir ? Je vous prie de ne pas discuter et de nous suivre, autrement on va devoir vous menotter.

Ginette, terrifiée, suivit les deux agents de la BAC qui la firent monter dans leur véhicule. Déjà la meute de racaille réapparaissait. Comme prévu : en plus grand nombre, plus armée et vociférante qu'il y a quelques minutes à peine. Fred colla le pied au plancher et s'éloigna de la cité des 4000 sous les jets de projectile. Une fois au poste, on fit délacer à Ginette ses chaussures avant de lui signifier sa garde-à-vue. On amena la vieille dame jusque dans une petite cellule au sous-sol du bureau de police. Elle y rumina une bonne heure jusqu'à ce qu'un bruit de verrou la sorte de sa discussion intime. Elle fut conduite dans un bureau où Tonio et Fred l'attendaient pour débuter son audition. Une fois les informations civiles récupérées, Tonio lui posa la question que tous les flics du commissariat se posaient :

- Mais pourquoi vous achetez un vaccin sur le marché noir ?
- Parce que les pharmacies autour de chez moi ne sont toujours pas approvisionnées.
- Mais vous pourriez attendre un peu. Vous êtes si pressée que ça de vous faire vacciner ?
- N'êtes-vous pas au courant qu'il y a une très grave épidémie en ce moment ? s'indigna presque naturellement Ginette.
- D'accord, mais si vous attendiez un peu, vous seriez sûre d'acheter le bon vaccin, et ça vous serait remboursé par la sécurité sociale. Combien vous avez payé pour votre dose, là ?
- 500 € répondit calmement Ginette.
- 500 € !?! répétèrent les deux flics ébahis derrière leur bâillon.
- Mais Madame, vous savez qu'à cause de gens comme vous, les convois qui transportent le vaccin se font braquer par de vrais criminels ?
- Il me semble que c'est à la police de sécuriser ces transports. D'ailleurs, n'est-ce pas le gouvernement qui a déclaré que les transports du vaccin seraient sécurisés par vos services ?

Les deux policiers restèrent quelques secondes sidérés par la réponse formulée avec calme par Ginette.

Fred n'y tint plus et rompit le silence :

- Ecoutez Madame Dupuis : effectivement, on a entendu comme vous que les transports de vaccins seraient sécurisés par la gendarmerie. Ca nous a beaucoup fait rire au commissariat, puisqu'on ne voyait pas vraiment quel voyou s'y intéresserait. Pour nous, c'était juste de la com gouvernementale pour laisser à entendre que le vaccin était très attendu et donc précieux. Mais vous comprendrez que nous restons ancrés dans la vie réelle, Madame ?

Après un bref silence, Fred reprit :

- Ce qu'on imaginait pas, c'est que nous verrions déferler des centaines de gens comme vous dans les cités pour aller réclamer une dose de vaccin à des dealers. Quand on a entendu aux infos que les convois transportant le vaccin, même assistés de la gendarmerie, se faisaient braquer : vous n'imaginez pas quelle fut notre surprise. Aussi, puisqu'on se pose tous la question dans le commissariat : qu'est-ce qui vous arrive ? La télé vous a rendu complètement cons ? Vous êtes possédés ?

Ginette hoqueta d'indignation. Alors qu'on lui signifiait qu'elle serait déférée au parquet, elle entendait au-dehors, les sirènes hurlantes des véhicules de police pourchassant les voleurs de vaccin contre le Covid. A quelques milliers de kilomètres de là, dans les brumes d'une forêt tropicale, un pangolin signifiait à un général chinois que la phase 3 du plan pouvait désormais être activée...

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