jeudi 6 février 2020

Droit de réponse à ceux qui prônent la violence révolutionnaire

Il est un débat récurent dans les cercles dissidents, que d’opposer nos points de vue sur le recours à la violence révolutionnaire ou non. Les uns prétendent « qu’aucune Révolution n’a jamais été réussie sans violence » ; les autres (dont je fais partie), opposent toute une somme d’arguments, sur lesquels je vais évidemment avoir l’occasion de revenir. Toutefois, ce billet ne prétend pas condamner le recours à la violence légitime sur des critères moraux, éthiques ou mêmes juridiques, mais simplement approfondir la question pour tenter de démontrer que ce mode d’action, n’a de sens que lorsqu’un certain nombre de conditions sont réunies.

Commençons par signifier que pour les juristes, le droit de résistance se conjugue naturellement avec le recours à la violence. Si les penseurs de l’Antiquité méditaient le recours à la légitime défense, c’est durant la Renaissance que la notion plus large de droit de résistance devient l’objet des discussions intimes des philosophes. John Locke en particulier, écrit dans son traité du gouvernement civil :

« Quoi, dira-t-on, on peut donc s'opposer aux commandements et aux ordres d'un Prince ? On peut lui résister toutes les fois qu'on se croira maltraité, et qu'on s'imaginera qu'il n'a pas droit de faire ce qu'il fait ? S'il était permis d'en user de la sorte, toutes les sociétés seraient bientôt renversées et détruites ; et, au lieu de voir quelque gouvernement et quelque ordre, on ne verrait qu'anarchie et confusion.

Je réponds qu'on ne doit opposer la force qu'à la force injuste et illégitime, et à la violence ; que quiconque résiste dans quelque autre cas, s'attire une juste condamnation, tant de la part de Dieu que de la part des hommes ; et qu'il ne s'ensuit point que toutes les fois qu'on s'opposera aux entreprises d'un Souverain, il en doive résister des malheurs et de confusion ».

Le penseur anglais tente de se montrer prévenant. Si le droit de résistance peut être employé lorsque « le Prince » abuse d’une violence arbitraire contre son peuple, on ne peut invoquer ce droit naturel public, pour des motifs politiques particuliers ou des raisons futiles. John Locke est contemporain de la « Glorieuse Révolution ». Il sait par l’expérience, que lorsqu’une grande partie du peuple se soulève et abolit tous ses conditionnements habituels, le chaos et l’ivresse du sang qui l’accompagne, peut s’avérer pire encore que la période de tyrannie que l’on cherche à renverser.

Et Thomas Jefferson ne dira pas autre chose lorsqu’il rédigera la Déclaration d’Indépendance des États-Unis d’Amérique :

« Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l'organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur. La prudence enseigne, à la vérité, que les gouvernements établis depuis longtemps ne doivent pas être changés pour des causes légères et passagères, et l'expérience de tous les temps a montré, en effet, que les hommes sont plus disposés à tolérer des maux supportables qu'à se faire justice à eux-mêmes en abolissant les formes auxquelles ils sont accoutumés.
 
Mais lorsqu'une longue suite d'abus et d'usurpations, tendant invariablement au même but, marque le dessein de les soumettre au despotisme absolu, il est de leur droit, il est de leur devoir de rejeter un tel gouvernement et de pourvoir, par de nouvelles sauvegardes, à leur sécurité future. »

Les Français seront les héritiers de ce courant culturel et philosophique, notamment lorsqu’ils proclameront au plus fort de la Révolution, que « le droit de résistance est la conséquence des autres droits de l’Homme ». Ces textes qui consacrent les libertés publiques et individuelles, visent en premier lieu à avertir les gouvernants, que les abus qu’ils pourraient commettre contre les grands principes de souveraineté nationale, de liberté d’expression, de droit à la vie, de justice égale pour tous, etc. ; ne pourront qu’entraîner une ire populaire qu’ils seront bien en mal de canaliser par la suite. Et l’insurrection qui en découlera, sera considérée comme légitime, légale, et sacrée :

Art. 35 de la Constitution du 24 Juin 1793 :

« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
 
On pourrait se dire (et ce serait le discours qu’adopterait volontiers nos politiciens), que ces perceptions philosophiques sur le droit de résistance, sont d’un autre âge, et qu’aujourd’hui, elles sont désormais obsolètes puisque nous sommes sous le régime d’un "état de droit". Rien n’est plus faux cependant.

En 1946, lorsque l’ONU est instituée, les nations travaillent à une déclaration universelle des droits de l’Homme qui puisse faire consensus. Le seul prix Nobel de la Paix français que nous ayons, le si injustement oublié René Cassin, y prend une part très active. Il rédige ainsi un article qui malheureusement, ne sera pas retenu du fait des veto américains et soviétiques de l’époque, mais qui est pourtant la forme la plus précise qui puisse exister sur le droit de résistance :

« Lorsqu'un régime foule gravement ou systématiquement les droits et libertés fondamentales de l'homme, les individus et les peuples possèdent, sans préjudice d'un appel aux Nations Unies, le droit de résister à l'oppression et à la tyrannie »


Plus récemment encore, ce sont différentes constitutions européennes qui se sont dotées du droit de résistance. La première revendique le recours à une résistance pouvant user de tous les moyens possibles (y compris la violence), mais fait appel aussi au patriotisme du peuple (son unité) pour qu’elle puisse être exercée. Il s’agit de l’article 120 de la constitution hellène :


« l’observation de la Constitution est confiée au patriotisme des Hellènes, qui ont le droit et le devoir de résister par tous les moyens contre toute personne poursuivant son abolition par la violence »

Une autre constitution revient cependant aux grands principes évoqués par Locke et Jefferson, à savoir la loi fondamentale allemande, qui dans son article 20 dispose que :

1) « La République fédérale d'Allemagne est un État fédéral démocratique et social.

2) Tout pouvoir d’État émane du Peuple. Le Peuple l'exerce au moyen d'élections et de votations, et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

3) Le pouvoir législatif est lié par l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit.

4) Tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendra de renverser cet ordre, s'il n'y a pas d'autre remède possible ».

Et vous pourrez vous amuser à chercher sur internet des réflexions de juristes comme par exemple les excellents articles publiés par Geneviève Koubi, vous vous rendrez compte, que le droit de résistance, outre le fait qu’il soit constitutionnalisé en France et ailleurs en Europe, est un droit qui est nécessairement « hors la loi », puisque visant à renverser les injustices sociales et démocratiques qu’une tyrannie institue, par la loi justement.

Je reviens cependant à la pensée germanique de ce droit, qui me paraît tout à fait en phase avec la logique insurrectionnelle qui doit être la notre. En effet, les Allemands considèrent que le recours au droit de résistance (et à la violence qui l’accompagne), ne peut être envisagé que lorsqu’il n’y « plus d’autre remède possible ». Ce qui signifie que lorsqu’un peuple dispose d’outils légaux à sa disposition lui permettant de renverser la tyrannie qui l’opprime, il se doit de les employer pour commencer. C’est une façon de procéder par élimination en vérité. Les politiciens nous évoqueront ainsi le juste recours aux élections, mais nous savons qu’elles sont viciées. Pour ma part, je proclame que nous pouvons toujours nous rassembler légalement et pacifiquement devant les grands médias nationaux (sources de la propagande du régime despotique actuel), devant le parlement, mais aussi instituer des tribunaux populaires pour faire juger publiquement les responsables politiques de nos maux, ou encore résister en jouant des symboles qu’affectionne tant notre oligarchie, à savoir « le drapeau européen » (qu’il nous faut retirer de l’espace public) ou encore en francisant nos billets de banque. Ce ne sont pas les seuls moyens légaux de nous battre, mais ils sont parfaitement concrets, visibles, et dérangeants pour notre oligarchie régnante.

Pourtant, à l’égal d’un très grand nombre d’entre nous, ma colère est si grande, que j’aspire moi-même à recourir à la violence. Je n’ai aucun problème éthique ou moral à l’idée d’ôter la vie à nos oligarques. Mais outre le fait que je suis en phase avec l’idée que nous devons d’abord abattre toutes les cartes « légales » à notre disposition, cela du fait que je craigne tout comme ce cher Locke, un chaos plus pénible au peuple que le joug même de la tyrannie que nous nous devons de renverser, et qu’en outre, c’est une graduation de la lutte qui permet de légitimer le recours à la force en dernier lieu ; il y’a une raison plus évidente à ne pas céder à la tentation de la violence insurrectionnelle pour le moment :

Nous ne sommes pas prêts !

Celles et ceux qui défendent la logique du recours immédiat à la violence insurrectionnelle, font remarquer que les « pacifistes », n’ont pour le moment rien obtenu. Ce à quoi je leur objecte que les individus les plus violents, n’ont rien obtenu eux non plus. Et chacun d’entre nous avons raison d’une certaine façon. Si les moyens « légaux » que je défends ne débouchent sur aucune avancée claire, c’est parce que nous ne sommes pas assez nombreux à y recourir. Et mon opposition plus encline à la violence, formule la même explication : ils ne sont pas assez nombreux, et même clairement rejetés par la majorité des « Gilets Jaunes ».

Et ce n’est pas sans raison : la majorité des gens répugne à la violence, et n'est pas prête à en supporter les risques évidents pour leur Liberté au mieux, pour leur Vie dans le pire des cas. Ce qui légitime de mon point de vue, le recours aux solutions « pacifiques » que je préconise. Elles n’ont certes pas beaucoup de relais d’opinion pour en faire la promotion (et c’est pourquoi nous sommes si peux nombreux), mais elles ont le mérite de porter la revendication insurrectionnelle en elles-même (le renversement de la tyrannie et de son ordre juridique), et d’épuiser les dernières cartes opérationnelles acceptables que nous ayons, et peut-être même, nous préparer à aller plus loin encore si cela devait s’avérer nécessaire.

Car le recours à la violence collective exige nécessairement d’accepter en premier lieu de tuer. Il ne faut pas se bercer d’illusions, la violence des masses n’est efficiente que lorsqu’elle est capable de mettre en déroute la force publique au service de l’oligarchie. Or, un tel déferlement de violence supposera en réaction, le recours à la légitime défense pour des femmes et hommes que nous savons armés, équipés et formés à l’usage de la force. En outre, il y’a tout de même une difficulté éthique que l’on ne peut ignorer : s’il se trouve dans la Police Nationale, de parfaits salopards qui méritent d’être jetés en prison pour leurs crimes contre le peuple, il y’a aussi d’honnêtes gens qui ont tout simplement peur de perdre leur emploi, et de ne plus pouvoir assurer leurs devoirs de pères ou mères de famille. Il y’a aussi des personnes qui s’efforcent de faire leur métier sans jamais violer la loi ou leur morale propre vis-à-vis du peuple qu’ils sont sensés servir, mais qui restent conditionnés à l’obéissance servile à leur hiérarchie. Ils ne pensent pas à mal. Ils n’ont pas le sentiment de défendre un régime despotique, ils ont le sentiment de défendre la loi, l’ordre public, et de se contenter d’obéir à des consignes qu’ils espèrent justifiées. Voilà qui nous devrons supprimer en suffisamment grand nombre, pour briser le dernier rempart supportant la tyrannie en exercice. Et avant même de faire l’état des lieux des armes qui sont à notre disposition, combien d’entre nous sont prêts à tuer outre des politiciens malveillants, des policiers ? Combien sont prêts à prendre le risque de mourir pour la cause révolutionnaire, ou à minima de finir leurs jours en prison ?

Dès lors que, chantres ou non de la violence révolutionnaire, nous sommes conscients que la majorité d’entre nous n’est pas prête à assumer de tels risques, mais aussi de telles difficultés morales et éthiques (ce n’est tout de même pas la même chose qu’ôter la vie à un fonctionnaire exécutant les ordres de sa hiérarchie, et occire un politicien pleinement responsable de l’oppression que nous subissons), c’est donc que le recours à la violence n’est pas encore possible, ni souhaitable. Nous avons d’autres cartes à abattre contre l’oligarchie et elles ont pour effet attendu de la renverser, si nous sommes nombreux et acceptons une certaine auto-discipline dans nos actes. En outre, elles ont pour avantage d’organiser et solidariser plus sensiblement les insurgés, leur donner le sentiment qu’ils n’auront exclu « aucun remède possible » pour rétablir nos droits et libertés publiques, et laisseront la porte ouverte, le cas échéant, à une possible violence révolutionnaire. Car celle-ci ne peut qu’être alimentée à la fois par la frustration de ne pas réussir à obtenir la révocation d’un gouvernement contesté par les moyens les plus « pacifiques » qui soient, mais aussi par une organisation et une solidarité renforcées par les épreuves traversées ensemble dans ce but. Raison pour laquelle, je vous appelle à m’entendre lorsque je vous encourage à venir nous renforcer en premier lieu devant les centres de pouvoir que sont les médias et le parlement ; à ne pas hésiter à donner un peu de vos deniers pour payer une petite armée d’avocats afin d’organiser au plus vite les tribunaux populaires ; et ne pas hésiter à décrocher tous les symboles qu’affectionne l’ennemi qu’il n’hésite d'ailleurs pas à ériger ostensiblement jusque sur le fronton de nos écoles publiques.

Je ne suis pas « pacifiste », je ne l’ai jamais été, je pense juste analyser la situation froidement et proposer une graduation acceptable de notre résistance à l’oppression.

En espérant m'être bien fait comprendre d'un certain nombre de résistants, acceptez mes voeux de fraternité et d'intelligence collective dans la lutte.

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