lundi 12 avril 2021

Vertige

Ridicules ! C'est ce que nous sommes. De petites choses ridicules ! Des poussières dans une immensité sans fin qui nous nous prenons au sérieux. De la bouillie de quarks et gluons qu'une force mystérieuse a bien voulu animer d'un esprit. De la poussière d'étoile qui s'agite en vain et ne trouve d'autre sens au miracle de sa propre existence, qu'en courant derrière des artifices que nous nous inventons ici-bas. Le temps d'une pulsation de Bételgeuse, et nous voici tous morts et fossilisés. Il y a des fous qui rêvent de gouverner le monde, et l'univers tout entier se rit de leurs prétentions. Ce minuscule cailloux bleu est habité par des fous, je vous dis ! 

C'est à n'y rien comprendre ! Dieu vit son rêve éveillé au-travers de nos âmes incarnées, et nous ne sommes même pas conscients d'être le réceptacle de ses songes. Nous avons créé l'argent, concept improbable qui ne nourrit pas son Homme et qui ne sauvera jamais quiconque de sa destinée finale, et cela obsède pourtant la presque totalité de l'humanité. Croquer dans la chair acidulée d'un fruit, s'enivrer du trouble d'un sentiment amoureux, pisser la bite au vent et humer les arômes d'une fleur de jasmin, voila ce qui devrait être notre seule vérité. Nous sommes si éphémères, si fragiles, si improbables...

Ce qui nous paraît tangible ne se nourrit que de l'insignifiance. Qui est donc ce dingue qui prétend nous imposer ses quatre volontés à l'égal d'un enfant capricieux ? Et pourquoi lui accordons-nous une quelconque attention ? Le voila qui nous dit : "portez tous une muselière, ainsi j'en ai décidé", et des millions de fourmis angoissées lui obéissent alors ! Moi, je regarde le ciel et me dis que sans doute, demain je serais déjà mort. Alors à quoi bon écouter ce fou qui trépigne ? Ai-je seulement le luxe de l'éternité pour me défaire du droit de respirer ? Non, n'en déplaise au troupeau de zombies et de délateurs, nul tyran n'aura jamais prise sur ma vie. Je n'ai pas le temps, je ne suis que poussière, et chaque jour m'est compté ! S'il faut faire Société, ce doit être uniquement pour forger des Hommes libres ! Si ce n'est le cas, je vous laisse vous soumettre à quelques sociopathes que quelques millions d'entre nous peuvent tout à fait emporter dans la tombe dès demain. Je ne vous suivrais pas dans ce projet. Je suis fils de Gaïa, elle-même enfantée d'une nébuleuse qui passait par là. L'univers, notre géniteur à tous, lui ne nous a jamais rien demandé. Mais cet idiot encravaté qui chaque matin dépose son étron quotidien dans un quelconque cabinet élyséen, lui, se prétend au dessus de la mêlée. Quelle vanité !

Mais regardez les étoiles ! Ne vous susurrent-elles pas que le Miracle interdit toute servilité ? Qu'il faut vivre et aimer autant que l'on peut avant de mourir ? Que notre jardin si fragile mérite d'être cultivé ? Pourquoi courbes-tu l'échine ? Que fais-tu enfermé entre ces quatre murs de béton ? Au nom de quoi ta liberté d'aller et venir se négocie sur un bout de papier ? Es-tu fou toi aussi ? Projette-toi en songe à quelques encablures de Jupiter, et regarde ce minuscule point bleu qui scintille en direction du Soleil. Le vois-tu ? Cette particule de lumière au milieu de millions d'autres, c'est nous ! Fais encore un petit bon jusqu'à notre plus proche voisine stellaire, et tous ceux que tu as un jour connu et aimé ont déjà laissé place à une nouvelle humanité. Cela fait désormais des dizaines de milliers d'années qu'ils ont disparu. D'ailleurs, notre si petite planète, tu ne la perçois déjà plus. Pousse le voyage jusque dans les bras d'Andromède, et alors que tu embrasseras du regard l'univers tout entier, tu te surprendras à regretter ce minuscule cailloux bleu où des herbes folles poussaient et où le sourire d'une femme avait allumé en toi le plus immense des brasiers. C'est alors que tu te rappelleras. Qui était ce fou déjà, qui se croyait au-dessus de tout et tirait plaisir à faire tourner en rond une parcelle d'humanité ? Et pourquoi donc y avait-il des gens pour lui obéir ? De là où tu te trouves, est-ce que tout cela a du sens ? 

Puisque tu ressens enfin le vertige d'une telle incongruité, reviens parmi nous maintenant. Fais tes adieux à Andromède, présente une dernière fois tes hommages à Proxima, excuse-toi auprès de Saturne de point vouloir t'attarder, reviens sur ce cailloux bleu y respirer un grand bol d'air. Tu n'as pas touché le sol qu'un goéland plane en toute majesté au-dessus du monde. Regarde toutes ces fleurs qui colorent ce plancher des vaches sur lequel tu retombes doucement ! Regarde cette femme ! Comme tu la trouves si belle, si grâcieuse, si touchante ! Tu le sens ce cœur qui bat la chamade ? Le sens-tu ton sang qui se réchauffe ? Regarde, elle se trouve aux côtés de millions d'autres Humains ivres de colère qui assiègent tout Paris ! On crie, on chante, on se bat et l'on meurt aussi ! Mais putain, qu'est-ce que l'on vit ! Tout reprend sens. Te voila arrachant ta muselière, étreignant celle qui te trouble. Un hélicoptère s'envole vers les cieux avec à son bord un tyran terrifié. Il ne reviendra plus, le peuple a gagné ! Oui, voila quelque chose qui a du sens. Désormais nous serons libres, et toi plus que les autres encore. Tu as goûté au vertige de l'immensité. Tu as compris enfin pourquoi TU ES.  




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