mardi 2 juillet 2013

Le Monde en 2050

Nous sommes en 2050 et j'ai désormais 70 ans. Durant plus d'une semaine, je suis parti arpenter  avec ma compagne et un couple d'amis, les contreforts du Tungurahua, volcan équatorien culminant à plus de 5000 mètres d'altitude.

C'était un vieux rêve que de crapahuter à travers les Andes et pencher un jour ma tête au-dessus du gouffre béant d'une caldeira, afin d'y voir le sang de notre planète bouillir de tout son feu ardent. Après notre périple Andin, me voila donc de retour sur mon navire pour écrire. C'est un fier voilier de 38 pieds que j'ai pu acquérir en 2023 et m'ayant permis de réaliser un tour du Monde dont je rêvais aussi depuis tout jeune.

Désormais, c'est avec sérénité que j'utilise les forces que m'accorde encore mon corps vieillissant, et je ne consacre mon temps qu'à des activités associatives, à l'écriture d'un nouveau roman, et la découverte de petits coins de paradis que l'homme n'a pas encore piétiné. Je discute d'ailleurs avec mes compagnons de route de notre très prochaine traversée de l'océan pacifique pour rejoindre les îles Salomon.

Cette vie qui paraît somme toute idyllique, je n'avais aucune raison d'y croire durant ma jeunesse qu'elle pourrait m'être un jour promise. Avant que la Seconde Révolution Française de 2015 ne mette un terme à plus de deux siècles de dictature bancaire, j'étais un jeune homme constamment fauché, n'ayant pour toute richesse que mon goût insatiable de culture. C'est lorsque j'atteignais mes trente printemps que je rentrais réellement en dissidence. Je commençais à trop bien connaître un système qui nous opprimait, quand bien même il était extrêmement complexe et ramifié. Ses protagonistes se cooptaient mutuellement que ce soient dans les médias, les grandes entreprises ou les institutions. Le jeu des élections était totalement faussé depuis de nombreuses années par la corruption, la monnaie et les petits arrangements entre politiciens et journalistes. Nous vivions cependant l'agonie de cette dictature, du fait de l’avènement d'un outil émancipateur, qui malgré le contrôle des autorités permettait à une vitesse exponentielle la propagation des idées : internet.

Alors que la France, mon pays d'origine, se perdait dans une institution supra-nationale visant à détruire 1500 ans d'histoire pour mieux asservir différents peuples, les questions de souveraineté nationale revenaient inexorablement sur le devant de la scène, tout comme la décroissance faisait son nid dans les esprits d'une jeunesse qui se sentait déconnectée des élites lui vantant "le pillage heureux" et constant des ressources, cela ad vitam aeternam.

Vers la fin de l'année 2013, de façon laborieuse je réussissais à faire publier un journal papier que des amis et moi-même distribuâmes dans la rue aux passants. Durant une année, avec toutes les difficultés du monde, nous parvînmes à augmenter nos tirages jusqu'à atteindre plus de 10.000 exemplaires distribués fin 2014. A cette époque là, notre journal commençait à se faire un nom et devenir rentable. Nous en faisions parvenir des exemplaires dans d'autres régions de France où d'autres dissidents motivés les distribuaient. D'ailleurs, de nombreuses autres publications voyaient le jour partout en France et la réinformation des Français commençait à se faire réellement massive. Commençant à acquérir un minimum de confort de vie, je pus alors investir dans un projet de révolte monétaire. C'était la dernière année de l'existence de l'euro. Des milliers de Français commençaient à gribouiller le mot FRANC sur les billets, et très vite, les autorités cherchèrent à nous contraindre par voie de justice. Mais le mouvement lui-même était exponentiel et le dépôt de plainte du procureur contre nous  au motif de terrorisme et de falsification de la monnaie, provoqua un mouvement de colère qui fut le départ de la Révolution. Lorsque la salle d'audience fut pleine de Français révoltés et que le parvis jouxtant le tribunal de grande instance de Bordeaux fut occupé par plusieurs milliers d'entre eux, je savais qu'il serait désormais difficile d'enrayer ce qui avait commencé. Les autres prévenus et moi-même firent valoir l’état de nécessité ainsi qu'une défense basée sur une attaque en coupe réglée de tout un système. C'était clairement un procès politique et nous ne fûmes pas étonnés de le perdre. 

Je fus condamné avec mes compagnons à trois mois de prison et une forte amende, ce qui révélait que le magistrat était mal à l'aise. Il disposait dans l'arsenal législatif de quoi nous faire incarcérer pour bien plus longtemps que cela, mais la colère était si forte au-dehors, qu'il ne pouvait éluder que ce procès n'était pas seulement celui de quelques personnes physiques, mais bien de toute une résistance. En vérité, j'échappais avec mes comparses à la prison. Car lorsque la foule prit connaissance des attendus du jugement, le car de policiers sensé nous escorter vers la maison d'arrêt de Gradignan fut totalement bloqué. Des milliers de Français affluèrent tout autour du tribunal et la France connut ses premiers morts. Ce furent eux les premiers et véritables résistants. Les C.R.S chargèrent à maintes reprises, mais la foule ne se dispersa pas. Elle tint tête et une véritable bataille s'engagea. Durant plus de deux jours, il y'eut des scènes d'émeutes non seulement à Bordeaux, mais aussi dans plusieurs villes de France. Lorsqu'une jeune femme fut tuée par un policier perdant son sang froid, la situation n'était déjà plus contrôlable. Des premiers fusils apparurent dans la foule et deux policiers furent tués. Ces derniers répondirent et tuèrent sept personnes et en blessèrent une centaine d'autres.

Pendant ce temps là, le tribunal était désormais envahi par la foule, qui parvint à forcer la pièce où nous étions écroués. Dans le reste de la zone euro, une situation insurrectionnelle naissait aussi de notre propre révolution. Les Grecs, les Espagnols et plus encore les Italiens, fatigués de leur propre oppression et encouragés de voir les Français s'éveiller, se sentirent pousser des ailes. Lorsqu'une bombe explosa dans l'enceinte de la Commission Européenne tuant deux importants responsables européens, les peuples savaient qu'ils étaient désormais engagés dans une lutte à mort. Les parlements furent pris d'assaut et la libération vint finalement du Portugal. Des Généraux, peut être se remémorant la Révolution des Œillets,  firent un coup d’État et destituèrent le gouvernement en place.

Tout un système s'effondrait. Un gigantesque Bankrun était en train d'achever un système bancaire international, et l'on fermait les bourses tant en Europe qu'aux U.S.A. La situation géopolitique devenait très tendue. Car les autorités Américaines et Britanniques avaient été les architectes durant plus de 50 années de l'Union Européenne. Les médias tentaient vainement d'influencer les européens sur des responsabilités germaniques quant à une crise de société que nous subissions. Mais heureusement, la manipulation échoua. L'Union Européenne se démantela par la force des choses et le Président Français n'eut d'autres solutions que remettre sa démission et fuir en hélicoptère de l’Élysée.  Nous ne fûmes pas étonnés d'apprendre quelques jours plus tard, qu'il trouva refuge aux États-Unis.

Nous avions eu ce que nous voulions, mais il s'agissait désormais de reconstruire alors que la famine faisait son entrée sur la scène. La faillite du système bancaire avait eu raison de tout un modèle économique et nous obtînmes notre salut par le biais d'une femme qui n'était connue alors que par très peu de dissidents. Pour des raisons que l'Histoire et le destin ne suffiraient à expliquer, Cécile Carloti fut la nouvelle Marianne de tout un peuple.

Ce fut une photographie d'elle, en train de donner un morceau de pain à un pauvre hère, sous un drapeau tricolore tenu par un insurgé, qui la fit connaître pour la première fois. Elle fût interrogée par différents médias alors qu'elle se trouvait au milieu d'une foule en colère, et ce fut sans doute son ton apaisé et ferme qui toucha les Français. Un système s'était effondré et nous aspirions à retrouver désormais de la paix dans les cœurs. Cécile Carloti avait conservé une beauté toute latine malgré ses 39 ans, et lorsqu'elle évoqua la nécessité de nourrir en premier lieu la population avec l'appui de l'armée, elle fut immédiatement aimée d'un peuple en souffrance.

L'Armée justement s'en rapprocha et lui confia le commandement du pays pour six mois, le temps d'assainir. Elle fit saisine de l'article 16 du Traité sur l'Atlantique Nord pour nous sortir de cette institution américaine, en profita pour quitter le FMI et la Banque Mondiale, et organisa les premiers secours. Autour d'elle, un gouvernement technique où des ministres comme Jean-Marc Jancovici, Lydia Bourguignon, Alain Chouet, Etienne Chouard, Frédéric Lordon, François Asselineau, et bien d'autres rétablirent l'unité de notre pays et réorganisèrent en urgence la continuité de l'Etat. 

Lorsque de premières élections présidentielles furent tenues, on obligea presque Cécile Carloti à se présenter. Elle gouverna durant cinq années, et j'eu la chance de devenir député pendant que le peuple rédigeait sa constitution. Je parvins à faire adopter des textes qui me tenaient à cœur sur la décroissance démographique douce et le démantèlement des hypermarchés.

La suite, vous la connaissez. En 2021, LA crise pétrolière frappa et ce qui restait de l'Empire Américain se disloqua. En France, le gouvernement de Jean-Marc Jancovici avait réussi à faire émerger en urgence des technologies pouvant soulager une partie de nos besoins en pétrole. Mais désormais, un autre monde se dessinait déjà. Les avions étaient cloués au sol, les trains ralentissaient, on pouvait à nouveau observer les étoiles dans les villes la nuit, et plus de 15 Millions de Français étaient revenus vers les campagnes. Nous ne passâmes pas très loin de la troisième guerre mondiale, mais par miracle et sans doute par le refus des peuples d'accepter les propagandes de guerre, nous y échappâmes. 

Aujourd'hui, je suis bien loin de mon pays. Je suis assez fier de savoir que nous avons bâti notre première base lunaire avec l'aide de notre fusée Ariane VII, et de constater qu'une économie hydrogène est en train de changer radicalement le monde. J'ai vu avec une grande émotion un premier avion décoller depuis près de trente ans, et je ne me fais aucun souci pour l'avenir. Cependant, comme tous les anciens jeunes révoltés, je suis sans doute dépassé par les nouvelles aspirations de la jeunesse.

Une forme de démocratie cybernétique est apparue et une langue totalement inventée numériquement est train d'unifier des peuples en Europe. On reparle de fédération des Nations Européennes, mais ce ne sont plus des technocrates et des Banksters qui en discutent. Ce sont des peuples.

De part l'Histoire que j'ai vécu, j'y suis je l'avoue très hostile. Mais je me garde bien de juger. J'ai moi-même lutté contre des vieux cons qui s'étaient révoltés durant le moi de Mai 68 et comme eux, je suis peut-être devenu endoctriné à mon propre vécu.

J'ai 70 ans, et je sais que le Monde va pour le moment beaucoup mieux. Certes, de nombreux problèmes restent à résoudre, mais celui de la faim n'existe plus. On discute encore de savoir s'il faut démanteler nos arsenaux nucléaires, mais la Chine, certains États Américains et la Russie y sont hostiles. J'espère néanmoins que la sagesse parviendra à creuser son trou chez les nouvelles élites de ce monde. 

Beaucoup de mes amis sont morts aujourd'hui et j'ai eu le droit à une jeunesse qui quoi que difficile, n'en fut pas moins remplie d'émotions. J'espère que notre Constitution saura supporter les épreuves qui l'attendent dans les décennies à venir.

Je dois vous laisser mes enfants, ma femme m'appelle, il est temps de hisser les voiles.

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