lundi 12 décembre 2016

La fin des Etats ?

Depuis le début des années 70, un débat ne cesse d'être agité en occident, et particulièrement en Europe, sur le caractère nécessairement totalitaire et dépassé de l’État. Il est claironné que l'émancipation serait pour les êtres humains, de pouvoir s'affranchir des contraintes de l’État, voire que l’État n'existât plus du tout.

Les libéraux ne font là que reprendre un vieux thème de l'anarchie pour les adapter aux intérêts des puissances financières ou étatiques hostiles aux peuples en général. Cela, sous couvert d'une « philosophie » qui se distingue d'abord par les dérégulations économiques et les usurpations de souveraineté très concrètes qu'elle entraînent dans le cadre de différents traités internationaux ou supra-nationaux.

Il est vrai que si l'on en revient à la théorie de l'anarchie, l'Homme dispose en lui-même de la puissance nécessaire pour s'émanciper de tous ses conditionnements, qu'ils soient culturels, religieux, ou même étatiques. Mais ne pas vouloir s'extraire de l'ensemble de ces conditionnements impose t-il de facto le reniement de ses libertés individuelles et de son libre arbitre ? Sans une police et une justice pour garantir l'impunité et la neutralité de traitement face à la criminalité, n'y aurait il pas un arbitraire plus grand que si l’État disparaissait sur la base d'une proclamation de dissolution du pays, qu'auraient d'ailleurs tôt fait d'oublier les institutions ?

Y a t-il nécessairement une meilleure garantie des libertés individuelles là où l’État est absent ? Ne parle-t-on pas de « zones de non droit » là où les institutions sont les plus défaillantes à maintenir « l'autorité de l’État » ?

On nous répond aujourd'hui qu'à l'ère d'internet, la planète devient « un grand village » et que nous sommes désormais « citoyens du monde ». Pour autant, l'usage que l'on fait d'internet, notamment au travers de nos télécommunications, l'est en tout premier lieu dans notre langue maternelle. Ce qui en soit pose une frontière virtuelle à un sentiment sincère d'unité culturelle et politique avec l'internaute étranger. Les débats politiques, quand bien même ils peuvent s'élargir aux questions internationales, sont entretenus sur les réseaux sociaux à l’aune des intérêts nationaux des internautes concernés. Évidemment, l'on constate des Africains, des Français, des Belges, des Suisses et des Canadiens que la francophonie rapproche, participer à des discussions politiques sur de mêmes espaces virtuels. Mais bien que le lien entre les Wallons et les Français soit plus étroit qu'avec les autres communautés nationales mentionnées, de façon générale, ces discussions politiques restent minoritaires et liées à des thématiques relativement généralistes par rapport aux discussions politiques plus intenses qui rassemblent les internautes d'un même pays.

Internet ne va donc pas diluer la singularité entre les peuples, mais au contraire, confirmer celle-ci. Il est vrai cependant que l'essor technologique attenant, nous permet désormais de jouir d'une encyclopédie universelle sans cesse alimentée et corrigée, en plus d'une plate-forme à l'abri (relatif) du contrôle des gouvernements et des puissances financières, pour permettre à des millions de gens d'échanger leurs idées, indistinctement de leur origine nationale.

Cela n'est pas sans influence sur le progrès démocratique espéré. Mais les tenants du mondialisme en seront pour leurs frais, internet pas plus que le venin libéral, ne parvient à démolir le cœur des nations. Jay Rockfeller dans une commission sénatoriale aux USA en 2009, disait « regretter l'existence d'internet ». Hillary Clinton accusait de son côté le site Wikileaks d'avoir soutenu son rival Donald Trump lors de la campagne électorale américaine, là où le site de Julian Assange, se bornait à faire œuvre de transparence sur le contenu des mails de l'ex Secrétaire d’État, rendus publics par la Justice américaine. Au niveau européen, la chaîne de télévision russe « Russia Today » diffusée essentiellement au-travers des canaux numériques, s'est vue censurée par le gouvernement britannique, et violemment attaquée au sein du parlement européen du fait de la contre-propagande qu'elle oppose sur les questions économiques et géopolitiques en Europe. En Chine, il est littéralement impossible d'accéder à certains sites internet pouvant faciliter l'organisation de débats politiques populaires et libres. De façon générale, les puissants, qu'ils soient financiers, politiques ou mêmes médiatiques, font montre de leur défiance face à la puissance de l'outil démocratique et alter-médiatique qu'est internet. Ni les mondialistes, ni les nationalistes les plus rigides n'apprécient le contre-pouvoir populaire que les réseaux sociaux opposent à leur propagande.

Les États ne disparaissent pas autrement que par l’absorption au sein d'un autre État plus puissant et victorieux dans une guerre d'invasion, ou par la partition dans le cadre d'une guerre civile. Et cela n'est le propre que des États faibles. Ceux qui sont structurellement rendus indestructibles sont ceux qui jouissent d'une Armée moderne et fortement dissuasive à toute agression étrangère, ce qui par extension, les protège de tout arbitraire politique extérieur. Un pays comme la France peut faire sa révolution sans craindre les menaces étrangères ou de différentes puissances financières, car l'armée issue du peuple, ne peut se retourner contre les siens, cela sous mandat étranger ou privé. Un État puissant l'est indépendamment des périodes de relative faiblesse qu'il peut démontrer à l'international, car elles ne sont que la traduction d'une volonté politique limitée d'un gouvernement, alors que les capacités d'influence diplomatiques et militaires du pays peuvent s'affranchir d'un grand nombre d'obstacles que la majorité des États dans le monde ne peuvent pas mépriser. Ce n'est pas la même chose de dire ses quatre vérités aux États-Unis d'Amérique quand on est le chef d’État de la France, plutôt que celui du Pérou. La volonté politique d'un dirigeant péruvien peut surpasser de très loin la volonté politique d'un dirigeant français, mais le rapport de force dans les discussions diplomatiques reste inégal à l'aube de l'an 2017.

Cette inégalité peut reposer à la foi sur des mesures économiques hostiles à un pays en voie de développement par certaines puissances, mais elle peut découler uniquement de circonstances historiques ou géographiques clairement défavorables.

D'abord, admettons que les civilisations n'ont pas toutes été en quête de développement technologique aussi intense qu'en Europe et en Chine au cours des millénaires passés. L'Amérique précolombienne, l'Afrique, une grande partie du Moyen-Orient et l'Océanie, ont vu leurs populations souches rester dans un système politique essentiellement tribal, à l'écart des grandes routes commerciales entre l'Europe et l'Asie. Les guerres et le commerce ont en effet été des puissants moteurs du progrès technologique. La guerre exigeait d'innover dans l'armement, le commerce permettait les échanges d'idées. Si les Chinois inventaient les feux d'artifices avec la poudre à canon, c'est sur la route de la soie que la recette et les applications militaires de la technologie se discutent. Et c'est encore plus tard que l'on appréciera l'intérêt civil de la dynamite ou de la propulsion aéronautique de cette petite chimie. Les nations amérindiennes de même que les Africains, ne répugnaient pourtant ni à la guerre, ni au commerce, mais leur spiritualité, leur philosophie, en un mot, leur Culture, ne hissait que très exceptionnellement les Hommes à tendre vers le dépassement et l'innovation. La Nature pourvoyait aux besoins essentiels des communautés, et aucune puissance étrangère à la foi hostile et supérieure technologiquement, n'obligeait ces gens à se dépasser pour survivre. 

L’assujettissement à des civilisations plus avancées ou du moins plus puissantes technologiquement, était le prix à payer pour cette nonchalance multiséculaire à ne pas innover en parallèle de l'Europe et de l'Orient. Nous pourrions condamner nos aïeux d'avoir manqué à leur devoir de respect de l'auto-détermination des peuples aux époques cruelles où ils soumettaient des indigènes d'autres nations, mais cela serait faire fi que le concept n'existait pas il y a plus d'un siècle, et que l'on est responsable que de ses propres inactions durant son temps de vie, et non face à l'Histoire passée.

De facto, les États les moins puissants partent aujourd'hui avec un handicap économique, militaire et diplomatique qu'il convient de rattraper éternellement. Car les États les plus puissants, même sous la volonté politique des pires traîtres pouvant les gouverner, ne peuvent s'affaiblir à la mesure des nations les plus en retard. C'est donc pour l'internationaliste convaincu un exercice intellectuel très périlleux que d'imaginer l'harmonisation des normes et le ré-équilibrage entre les nations, car même avec le soutien des puissances les plus respectables, l'inégalité technologique et économique risquera sans nul doute de perdurer encore longtemps. Il y a pourtant matière à réduire ces inégalités comme nous le verrons, à échelle d'une vie d'Homme. 

Toujours est-il que l'on a plus à craindre (ou s’enthousiasmer) de la naissance de nouveaux États dans les années futures, du fait des réalités géopolitiques d'aujourd'hui. La Fédération de Russie bien que puissante, n'est pas unifiée culturellement d'une frontière à l'autre de son territoire. Cela peut générer des velléités indépendantistes qui, sur le long terme, peuvent avoir raison des contours géographiques actuels de ce pays.

Les aspirations à l'auto-détermination d'autres peuples comme les Kurdes ou les Palestiniens, ne manqueront pas dans le futur de se rappeler aux disputes internationales et trouver leur paroxysme sur le seul fait démographique. Les populations arabes et kurdes, chacune sur les territoires politiques revendiqués, connaissent une croissance démographique suffisante pour faire obstacle à l'influence politique de leurs opposants. La guerre des ventres est aussi silencieuse qu'implacable pour les peuples cherchant à obtenir la liberté de se constituer en nations. 

Certains différents territoriaux continuent de courir en Asie, notamment entre la Chine et Taïwan. Bien que cette île fut longtemps sous souveraineté chinoise et que l'une et l'autre partie revendiquent la souveraineté politique sur la Chine toute entière, il n'est pas improbable que dans le futur, des dirigeants de la Chine continentale finissent par considérer qu'il y ait plus d'intérêt à reconnaître l'auto-détermination de Taïwan que maintenir sa volonté de réintégration. Il est à noter qu'à l'inverse, une transition politique majeure puisse permettre aux deux Corée de se réunifier.

Mais l'essentiel de la réorganisation des espaces politiques dans le monde, aura certainement cours en Afrique. Les anciens colons ayant imposé leurs propres frontières au mépris des réalités ethniques et linguistiques des populations d'hier, ont laissé après le terreau à toutes les rivalités fratricides au sein du continent noir. Un grand nombre d’États africains malgré ce handicap, ont déjà trouvé les ressorts pour devenir de véritables communautés politiques émergentes. Mais d'autres, comme la République Démocratique du Congo, le Mali ou encore le Tchad, la Centrafrique, le Niger et le Nigeria où des irrédentismes Haoussa, Peuls et Malinkés subsistent tant bien que mal dans ces pays composites, souffriront peut-être de leur éclatement futur en un ensemble de nouveaux États. A l'inverse, le Sénégal aura forcément la tentation logique de reprendre le contrôle du fleuve Gambie par l'annexion de l’État attenant. Les rivalités franco-anglaises sur cette partie de l'Afrique, heurtent profondément la gestion de la ressource en eau d'une grande partie du Sahel. Mais le Sénégal est un pays arrivant à maturité politique, et capable de constituer son indépendance économique pleine et entière sur la seule bonne volonté de ses dirigeants du moment. Disposer du plein accès à la Gambie tant pour son commerce que pour assurer l'alimentation en eau des champs et des villes éloignées, est un enjeu d’État pour le Sénégal. Et ce pays aspire à devenir une puissance reconnue en Afrique. Il est aussi à noter que l'ex-Abyssinie aura peut-être vocation historique à se réunifier. L’Éthiopie dont on aurait tort d'ignorer l'ancienneté politique, a perdu son accès à la mer avec l'indépendance de l’Érythrée et de Djibouti. Les conflits entre ces derniers pays sont récurrents depuis des années, et portent jusqu'en Somalie. 

Les puissances occidentales entretiennent le macabre statut-quo en laissant des populations se déchirer, plutôt que de trouver l'appui nécessaire pour résoudre leurs conflits largement dus aux effets délétères du colonialisme arabo-européen. 

Que ce soit dans le déchirement par le sang, ou par le jeu démocratique, les frontières seront appelées à demeurer mouvantes dans les années à venir dans certaines contrées. Le Soudan s'est partitionné récemment, la Crimée est retournée à sa mère Russie, la Serbie n'a pas fini de digérer la guerre de l'OTAN l'ayant dépecé de son territoire et de son accès à la Mer Adriatique.

De nombreux conflits ensanglantent déjà le monde ou couvent encore avant leur explosion inéluctable. Nous avons la possibilité de les désamorcer. Cela suppose tout d'abord d'avoir un regard objectif et un tant soit peu historique de la construction des États. Mais aussi une réflexion humaniste plus générale, qui vise à promouvoir la paix non par la remise en cause des États, mais bien au contraire par leur promotion la plus honorable. C'est à ce niveau que les institutions internationales doivent pouvoir jouer leur rôle à plein. Un État naît d'une volonté d'indépendance et d'une reconnaissance internationale. Ignorer délibérément cette réalité fait le lit de guerres civiles inutiles et évitables...


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