dimanche 6 novembre 2016

La page blanche

Elle me toise et semble se rire de moi. Je suis face à elle et déjà, je lui inflige la première salve. Je n'ai pourtant aucun argument à répondre à sa silencieuse provocation. Je n'ai même d'ailleurs aucune envie de danser avec elle sur de nouvelles colères ou d'éternels espoirs qu'elle me sait cultiver. Non, cette fois-ci, nous ferons les choses à l'ancienne. Je dégainerais bien volontiers ma guitare pour égrainer quelques arpèges à même de m'inspirer quelques vers. Il y aurait bien là un merveilleux prétexte pour clouer le bec à cette vieille maîtresse. Mais elle est désormais bien loin ma mélancolie adolescente. Et aucune ode à la joie n'est venue prendre sa place. 

Alors j'écris pour le seul plaisir d'écrire, sans même trop savoir où cela me mène. J'entends les tambours appelant à la bataille résonner de façon sourde en moi. Je ne peux leur résister. Mais aujourd'hui, la guerre est technologique, et même le plus pauvre des soldats se bat désormais avec un clavier plutôt qu'une plume. Mais toujours rien. Aucun adversaire n'est désigné, aucune mission de reconnaissance ne m'est assignée, j'erre seul sur cette maudite page blanche.

Pourtant, l'appel n'a jamais été aussi fort. Bien sûr, je pourrais me replonger dans n'importe quel travail littéraire attendant que de nouveaux chapitres s'écrivent, mais j'aspire à la Liberté. Je refuse délibérément toute recherche utile à mes rédactions habituelles, toute pensée canalisée et ordonnancée dans le spectre étroit d'une réflexion philosophique ou politique. Mon esprit survole une plaine ou chaque brin d'herbe est un territoire cognitif à explorer. Le vent souffle une cacophonie de sujets derrière lesquels un seul doit être trouvé. Je le sais, je le sens parfaitement. Quelque chose veut sortir, mais reste désespérément enclavé en mon cœur.

Au-devant de cette confusion dissonante, j'accorde un peu d'attention à mon pote Bertrand qui me suggère de faire confiance à mon étoile. Sa voix chaleureuse, les violons de Tiersen, la puissance de ses mots, rien n'y fait. Seule une ambiance reste et demeure. Mais le monstre tapi dans les moindres cellules de mon corps, continue de tourner en rond sans trouver l'issue que je lui cherche du bout de mes doigts. Ô bien sur, je pourrais arbitrairement décider que cet état d'âme fait suite à différentes formes de stress qui pèsent sur ma vie en ce moment-même. Je pourrais écrire en l'honneur de José, puisque sa disparition me hante et que je ne me défais pas encore du poids des reproches que je me porte sur ce que je valais en tant qu'ami pour lui, et pour d'autres encore aujourd'hui. Mais les larmes ont déjà coulé et risqueront bien de couler à nouveau dans les prochains jours. Je ne compte donc pas échanger la pureté de mes émotions contre du verbe. Ce ne serait pas rendre honneur à José.

Est-ce mon aspiration à m'extraire d'une dissidence qui défie sans cesse l'idée que l'espoir mérite d'être cultivé ? Est-ce ma tentative d'épuration administrative et financière faisant que je me secoue plus fortement qu'habituellement sur ces problèmes, qui pèserait sur mon esprit en ce moment ? Non. Ce ne sont que des symptômes de quelque chose de plus profond. J'ai écris sur le temps qui passe, sur l'amour, la mort, la spiritualité, la solitude, la politique, l'économie, la géopolitique et tant d'autres sujets que je ne pourrais être exhaustif de mes fulgurances passées. Mais aujourd'hui, triste innovation, j'écris pour ne rien raconter. Juste noircir cette vieille amie, qui déjà, se montre un peu moins arrogante à force d'être souillée de mes mots.

A quelques mètres derrière moi, c'est désormais ma guitare qui se propose de me consoler. Si je ne trouve les mots, elle sait que je trouverai au moins les bonnes harmonies. Mais elle ne se suffira pas à me faire exulter ce qui me ronge. J'essaye de procéder par élimination, pourvu que cela sorte. Ce démon serait-il en moi en ce moment-même si j'étais accompagné plutôt que seul ? Je n'en doute pas un instant, quoi qu'il serait sans doute parasité. Ai-je besoin d'être réconforté par des bras aimants ? Je suis à peu près certain que mon esprit poursuivrait malgré tout ses divagations, c'est donc tout autre chose. Je regarde autour de moi pour tenter de m'observer avec l’œil d'un quelconque anthropologue. Une tasse de café vide posée sur l'imprimante ; quelques papiers jonchant le sol ; des classeurs chargés de documents juridiques et de documentation utile sur une étagère ; des chemises suspendues à une penderie, que je me refuse à porter le plus souvent ; des accessoires de vie pour l'essentiel strictement utilitaires, ternes, froids, dépourvus de toute recherche esthétique ; un savant mélange de bordel et d'organisation strictement fonctionnelle de ma vie ; tout cela manque de moi profond. Les apparences ne peuvent que laisser entrevoir un esprit brouillon pataugeant néanmoins dans des réalités bien concrètes de la vie. Pas de babioles laissant à deviner une part de légèreté ou d'intérêt pour quelque chose de plus transcendant. Pas de photo dans un cadre, je les range dans ma mémoire s'agissant de ceux que j'aime. Les choses brillent par leur absence plutôt que par leur trop plein dans ma vie.

Certains disent que je suis un type bien, et heureusement, une partie de ces gens sont bien des proches qui n'hésitent pas à me sermonner lorsque je me montre faible d'une façon ou d'une autre. Je ne pense pas ces gens capables de me mentir sur mon propre compte puisqu'ils ne craignent pas de me faire savoir quand je suis con. D'autres, sont convaincus que je suis la pire des ordures existant sur Terre. Peu m'ont rencontré ne serait-ce qu'une fois, et je ne me reconnais jamais dans la description qu'ils aiment à faire de moi. Et pourtant, dans le juste équilibre séparant l'amour propre de la nécessaire remise en question, je tends le plus souvent vers le côté obscur de la force :

Je suis marginal, avare d'émotions, autiste trop souvent dès lors que je suis pénétré par une idée ou un problème à résoudre, je donne peu de moi à quiconque, laisse peu de gens pénétrer ma bulle, je me sens mal à l'aise à chaque parole gentille sur mon compte et reste interdit face aux présents que l'on peut m'offrir. La plupart des femmes qui m'ont fréquenté, à quelques rares exceptions près, savent que je crains particulièrement leur amour et suis fuyant. Si je m'estime limité dans ma puissance intellectuelle et ma culture propre, je n'en reste pas moins rationnel avec mon environnement social et politique. Aussi, j'agace quand je revendique ne pas être le moins stupide et inculte au sein des masses anonymes dégustant avec plaisir leur propre part d'abrutissement, et qu'à ce titre, j'accorde plus de crédit aux fruits de ma pensée, qu'aux hystéries et passions fugaces d'une grande partie de mes contemporains, y compris au sein de la dissidence. Je n'ai toujours pas réussi à canaliser mes moments de colère autrement qu'en fielleuse arrogance, ni mes moments de désespoir en autre chose qu'une profonde apathie de tout. Je ne bâtis pas, je plante ici et là des idées en espérant leur germination sans que je n'ai à les entretenir. Je n'assume pas vraiment, je préfère marcher sur les côtés. L'être que je suis est autrement plus misérable que ceux qui m'aiment acceptent de le concéder.

Je ne suis certes pas doté d'un désir de malveillance à l'égard d'autrui, mais je suis un véritable handicapé social, ne sachant pas gérer normalement mes relations humaines. Je ne sais pas recevoir, et par conséquent, je rend très mal. Le prisme des réseaux sociaux est un miroir sacrément déformant. Il est de plus en plus régulier que l'on me félicite pour ma visibilité sur ces canaux, mais des centaines, si ce n'est des milliers de gens ont une visibilité comparable à la mienne en France. Une visibilité qui ne correspond à rien de réellement sérieux et notable. De la même façon, on me témoigne trop souvent des remarques sympathiques sur mes analyses ou mes initiatives militantes, et certains voudraient même me placer dans un rôle de leader. Je ne sais jamais quoi répondre tant je suis convaincu qu'il y a erreur sur la personne, et que je suis tout, sauf ce qui est espéré par certains.

Alors bien sûr, je ne peux que me reprocher d'appeler mes contemporains à la révolution, proposer une méthode, un plan de route pour la débuter, la réussir et la terminer. J'aurai été plus malin de me contenter du travail intellectuel pour le remettre à un meilleur communicant que moi. Confier ce travail à quelqu'un qui aspire de toute façon à être aimé ou diriger les hommes. Mais ces gens là ne s'inspirent pas du travail des autres qu'ils estiment forcément comme "concurrents". Alors ils s'agitent, publient compulsivement vidéos et vues d'esprit, pour peu que des centaines de clics si galvanisants en découlent. Pendant ce temps là, j'entretiens ma grève de toute interaction avec mon "public", ne revenant vers ma propre fenêtre sur le reste du monde, que pour y publier des informations nouvelles, répondre à quelques commentaires, avant de retourner à ma solitude tant chérie. Si j'ai foi en l'humanité, les êtres humains me font peur. Bien sur, il y a de vrais moments de plaisirs partagés, des discussions passionnantes et passionnées, des éclats de rire qui n'ont rien d'artificiels et forcés. Confrontez-moi à cette humanité, et je redeviens naturellement sociable et spontané. Mais je sais qu'au-delà de quelques heures de ressociabilisation, il me faudra fuir et rester planqué quelques jours dans ma tanière, pour récupérer l'énergie donnée à être quelqu'un comme les autres. Je n'ai jamais rien forcé, mais cela m'a toujours coûté. Si j'étais un autre que moi, et que je me rencontrais, je pense que je ne trouverais pas l'homme que je suis, sympathique et attrayant. Et ne pouvant me défaire de mes idéaux, je ne puis que composer avec ce que j’exècre pour les défendre. Je dois communiquer, et parfois même, me positionner en tant que décideur. Une psychothérapie au long cours ou du masochisme qu'il serait temps de faire cesser ?

Les tambours continuent de marteler en moi, mais rien n'est vraiment sorti. Quelque chose sonne l'alarme, et cela semble répondre à un appel que je ne perçois pas. Quelque chose qui est hors de moi. J'ai fais le tour de mon âme par les bords, et même en sondant un peu les bas-fonds, mais je n'ai fais qu'exciter le monstre sans pouvoir  écarter les barreaux de sa cage. Je n'ai cependant pas laissé la page blanche se rire de moi. J'ai relevé son défi, aiguisé quelques mots et tatoué ces derniers sur le corps de ma vieille complice. Ne reste plus qu'à céder à ma guitare, et si cela ne me suffit pas, je trouverais bien quelque chose à frapper de mes poings quelques minutes pour épuiser cette tension qui me malmène. 

Il y aura forcément une autre page blanche à noircir dans les jours à venir, et je l'espère, une pesanteur qui se sera effacée...

Sylvain

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