lundi 2 janvier 2017

Tout le monde n'est pas Ambroise Croizat

Lorsque le 10 Février 1951, Ambroize Croizat exhalait son dernier souffle, il n'imaginait sans doute pas que quelques jours plus tard, sa dépouille serait suivie par plus d'un Million de Français jusqu'à sa dernière demeure. L'architecte de la Sécurité Sociale était à la foi communiste et syndicaliste. Il était de ceux qui contribuèrent aux grandes grèves du début du siècle dernier, et qui, par sa ténacité, son engagement sans faille et son intégrité totale en faveur des travailleurs français, fut plébiscité par ses pairs pour intégrer l'assemblée consultative du Conseil National de la Résistance, avant de devenir Ministre du Travail dans le Gouvernement Provisoire formé par le Général de Gaulle à la Libération.

A l'inverse, lorsque Marc Blondel, Secrétaire Général du syndicat Force Ouvrière décède le 16 Mars 2014, en dehors de quelques timides hommages de quelques oligarques, les Français ne témoigneront d'aucun intérêt particulier à la disparition de cet homme. De la même façon, François Chérèque, qui jusqu'il y a peu, occupait les fonctions de Secrétaire Général de la CFDT et qui vient de nous quitter le 2 Janvier 2016, ne nourrira une attitude endeuillée que pour quelques oligarques et grands patrons. Les Français dans leur ensemble affichent une royale indifférence quant à sa disparition.

Il faut dire que le temps des grands leaders syndicaux nous appelant à des grèves illimitées et dures pour ne serait-ce que sauvegarder le droit du travail existant à défaut de revendiquer de nouvelles conquêtes sociales, est bien loin derrière nous. A peine 8 % des salariés français sont syndiqués, dont l'essentiel dans la fonction publique. Une représentativité au-moins aussi légitime que nos oligarques qui se font élire en surfant tant sur la propagande des médias aux ordres que l'abstention massive des Français.

Le constat est même accablant si l'on prend le temps d'observer d'autres facettes du syndicalisme d'aujourd'hui. La CFDT dispose de placements financiers dépassant les 200 Millions d'euros de capitalisation. La CGT dispose pour sa part de plus de 30 Millions d'euros de "valeurs mobilières de placements" sur son bilan comptable de l'année 2015. Quant aux comptes de Force Ouvrière, ils révèlent que l'association se porte bien avec plus de 30 Millions d'euros de capital financier disponible pour l'année 2015.

Camarades, si vous considérez votre syndicat comme étant le bras armé du travailleur contre la toute puissance du Capital, pardonnez-moi pour la gueule de bois qui risque de découler de ces quelques chiffres.

N'étant à la foi pas spécialiste de l'histoire des syndicats, ni assez passionné par la question au point de me livrer à des recherches de toute une nuit, je me contenterai de signifier ce que quelques renseignements épars nous permettent de comprendre. Tout d'abord, il y a la scission entre les communistes et les trotskistes au début des années 50, notamment par désapprobation de l'entrisme revendiqué des lambertistes (trotskistes), qui appelaient les militaires français au début de la seconde guerre mondiale à "la défaite révolutionnaire", tout en pénétrant les partis ouvertement fascistes ou collaborationnistes afin d'y laisser leurs agents d'influence. Les communistes d'hier détestaient férocement les "hitléro-trotskistes" notamment pour ces raisons, et pourtant, les communistes d'aujourd'hui ont été définitivement vaincus par l'entrisme de ces derniers. C'est une longue histoire que je découvre, qui est complexe, et sur laquelle je ne m'appesantirai pas. Je soulèverai simplement que nombre de syndicats étudiants ou partis politiques se disant "anti-capitalistes", sont totalement issus de cette mouvance. Ce qui est essentiel de noter du point de vue idéologique, c'est que les trotskistes sont moins dans l'analyse complexe de l'économie et la socialisation progressive de la société, que dans l'incantation pseudo-révolutionnaire. 

Vient Mai 68 qui malgré les accords de Grenelle, signe la dégénérescence du PCF et la progression de l'entrisme des trotskistes au sein du PS, du PCF lui-même, et des syndicats. Daniel Cohn Bendit, ou Marc Blondel sont ainsi les purs produits idéologiques de cette période. L'entrisme menant vite à l'opportunisme, et finalement à accélérer tant et si bien une carrière politique, que les idéaux révolutionnaires ne deviennent plus qu'un faire-valoir cosmétique pour camoufler la réalité des ambitions personnelles de ces parvenus. 

En 1973, est créée la Confédération Européenne des Syndicats, d'inspiration chrétienne et libérale, et vite adoubée et subventionnée par les eurocrates de Bruxelles. Dès sa création, F.O et la CFDT y adhèrent, tandis que la CGT se voit refusée d'y entrer en 1974 du fait de valeurs non partagées (ce qui avait encore du sens à l'époque). Néanmoins, la CGT persiste, et c'est sous l'égide de Bernard Thibault qu'elle y fait son entrée en 1999. 

Entre temps, Mitterrand a achevé de détruire le PCF en obtenant son soutien lors des présidentielles de 1981, puis en le trahissant dès 1983 par l'adoption d'une politique ultra libérale que Georges Marchais dénoncera régulièrement, jusqu'à ce qu'il cède la place en 1993 à Robert Hue. Sous l'égide de ce dernier, le PCF abandonne sa faucille et son marteau, ainsi que son orthodoxie léniniste-marxiste. Désormais, il y aura plusieurs courants, dont celui des europhiles (évidemment incarné par les trotskistes).

Ce déclin du Parti Communiste et le remplacement méthodique de ses valeurs originelles par de nouvelles générations biberonnées aux thèses véhiculées par les soixante-huitards, a eu un impact considérable sur le syndicalisme. la CGT étant historiquement à la foi le plus vieux et le plus important syndicat français, elle était aussi un gigantesque réservoir de communistes. Le déclin de ces derniers ne pouvait qu'aller de pair avec l'agonie de la première.

Voila donc où nous en sommes : des syndicats n'ayant plus aucune idéologie motrice ferme, plus de soutien politique d'un PCF autrefois puissant (et réellement communiste), mais des structures désormais nourries financièrement par le patronat et les élus trop contents de trouver des voix à prendre à coups de subventions publiques (quand il ne s'agit pas d'acheter la paix sociale sur des réformes douloureuses). Terminés les appels à la grève générale, terminées les luttes qui se gagnent à l'occupation sans discontinuer des rues de Paris.

Une petite grêvounette de branche quelques jours par an, d'aimables manifestations histoire de promener nos communistes vieillissants aux côtés de la jeunesse de Tolbiac et de Science-Po, qui pour sa part est déjà prête à faire carrière dans les coursives du pouvoir moyennant quelques slogans sur la cause gay ou féministe. Nous en sommes réduits au pays de la Commune de Paris et des grandes grèves ayant conduit le Front Populaire au pouvoir, à assister à des parades folkloriques où les fanions rouges s'étiolent sous les emblèmes arc en ciel du milliardaire Pierre Bergé.

Le syndicalisme authentique est mort et ne renaîtra pas de ses cendres aisément. Nous avons affaire à des syndicats de connivence, dirigés par des personnages sachant parfaitement exprimer pour la forme un coup de gueule à la télévision, tout en rassurant en coulisse le politicien sur la longueur extensible des chaînes avec lesquelles il souhaite étrangler le travailleur.

Le plus triste dans cette histoire, c'est que jamais les syndicats n'ont été si abondés en argent pour garantir la solidarité de leur structure avec des grévistes. Jamais il ne fut plus facile qu'aujourd'hui, pour un leader syndical, d'appeler à la grève générale en bénéficiant d'un large écho avec l’avènement des réseaux sociaux. Autrefois, il fallait compter sur des milliers de porte-voix dans les usines et des tonnes de tracts imprimés et distribués. Aujourd'hui, une simple vidéo sur Youtube pourrait suffire à obtenir les résultats qu'hier on obtenait avec force huile de coude. Un appel à une grève générale, longue, radicale et résolue qui est très attendu des Français et qui ne vient toujours pas. Pourtant, ces derniers n'espèrent que ça de pouvoir enfin rebattre le pavé comme nos aïeux l'ont fait, et récupérer tout ce que le programme des Jours Heureux avait introduit de régulations et de lois contraignantes pour les puissances d'argent.

Mais si l'on parle désormais de syndicats jaunes en France, il y a fort à craindre que ce soit pour leur propension à nous pisser dessus dès que les premières flammes de notre colère viennent lécher le pied des Secrétaires Généraux. 

Dans l'histoire, tout est toujours question humaine.  Une idée, une loi, une mobilisation populaire, rien n'apparaît spontanément. Il y a toujours un être humain pour porter une cause avec plus ou moins de talent, de sincérité et d'acharnement. C'est peut-être ce qui sauvera le syndicalisme en France,  à savoir l’émergence d'un leader qui n'aura que faire des petits arrangements politico-carriéristes, et qui enverra valdinguer la Confédération Européenne des Syndicats, Pierre Bergé et ses ouailles néo-lambertistes, l'oligarchie, les traités, le consensus mou ; tout cela en appelant tous les Français à cesser le travail et déferler sur Paris.

Ce temps n'est pas encore arrivé. C'est donc hors des syndicats que la bataille se poursuit pour le moment. Quant à François Chérèque, qu'on me pardonne de ne pas vouloir lui rendre hommage. Les traîtres restent des traîtres, y compris par-delà la mort. C'était un larbin de l'oligarchie comme les autres, et d'ailleurs, je vous donne mon billet qu'il n'y aura pas foule pour suivre sa dépouille vers sa dernière demeure. Tout le monde n'est pas Ambroise Croizat....


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