jeudi 20 juillet 2017

De l'autorité légitime.

Le président Emmanuel Macron débute donc son mandat, en défiant l'institution militaire et en cherchant à lui imposer son "autorité"

Mais il témoigne ici qu'il ne mesure pas la différence entre commandement militaire qui lui est conféré par la Constitution - ce qui est relativement neutre - de ce qui relève de l'autorité légitime. Il convient ici d'aborder quelques aspects de la question, pour ne pas laisser d'impressions erronées sur ses fondements.

L'autoritarisme des chefaillons ne peut en effet être confondu avec l'autorité naturelle des grands Hommes.

Toute personne revendiquant ostensiblement son autorité sur les corps régaliens de l'Etat, explicite en vérité qu'il n'en a aucune. L'autorité ne se revendique pas, ne se justifie pas, elle est le résultat silencieux mais tacite d'un consentement. Aucune disposition constitutionnelle ne légitime l'autorité humaine et politique sur un peuple en arme. Le distinguo doit être opéré, et c'est d'ailleurs ce qui fut fait à la Libération le 9 Août 1944 par le général De Gaulle, et pourrait être renouvelé afin de clôturer le mandat du chefaillon Macron.

Rappelons que plus près de nous, il y eut deux autres moments où l'Armée Française, chercha à rétablir d'une façon ou d'une autre la puissance de l'Etat face au politique.

La première fois en 1958 lorsqu'elle fit pression sur le parlement pour installer De Gaulle au mandat de président du Conseil, la seconde fois en 1961 pour se rebeller sur la question de l'Algérie. Contrairement à toutes nos ex-colonies, il y avait un fort sentiment d'attachement et d'interconnexions familiales avec l'Algérie française pour beaucoup de nos concitoyens de l'époque, et c'est ce qui explique pourquoi la séparation s'est faite dans la douleur, et s'est accompagnée d'un schisme profond ayant altéré la discipline militaire tant au sein même de l'institution que face au politique.

Si ces périodes de crises sont considérées comme dangereuses pour la démocratie par les bien-pensants qui jouissent du droit d'exposition médiatique, la réalité est tout autre l'essentiel du temps.

Depuis l'Antiquité, l'on sait que la plèbe romaine préférait accorder sa confiance aux chefs militaires pour assurer la Justice, plutôt qu'en laisser le total contrôle aux puissants sénateurs. La plupart d'entre eux était tout aussi hostile aux intérêts du peuple que ne le sont nos parlementaires d'aujourd'hui. Cette reconnaissance instinctive de l'autorité militaire comme supérieure à celle de la représentation politique, découle d'une raison historique : tout citoyen romain pouvait échapper à l'impôt et au paiement de ses dettes, en s'engageant dans l'armée. La dimension civique de l'institution était déjà pleinement consacrée. Les lois de Lucius Sartunius et Caïus Glaucia en - 100 avant Jésus-Christ, retirèrent même aux sénateurs (généralement créanciers de la plèbe) leur droit de siéger dans les tribunaux, au profit des chevaliers. L'Armée était alors déjà une institution qui garantissait l’élévation au mérite, et non pas sur la fortune. Le citoyen romain qui revenait à la vie civile, était donc respecté pour avoir survécu et voyagé dans des contrées hostiles, mais aussi parce que même devenu un soldat, officier ou général reconnu pour ses faits d'armes, il restait pour grande partie issu de la plèbe et donc plus en phase avec les intérêts du peuple.

Après 2000 ans d'histoire gallo-romaine, de féodalité franque et de construction lente du pré carré de l'Etat, ce lien entre l'armée et la nation ne souffre toujours pas de contestation. La nation étant en substance : le peuple disposant de la souveraineté politique sur les institutions créées sur son propre territoire. Un peuple qui ne dispose pas de son droit à l'auto-détermination comme les Kurdes ou Palestiniens, n'est pas une nation. C'est un peuple soumis à tous les arbitraires.  Pour qu'un peuple existe, et puisse définir le territoire où il compte exercer sa souveraineté politique - en général sur la base d'une communauté de langue et donc de compréhension mutuelle - il lui faut être en capacité d'une part de repousser toute manœuvre militaire hostile sur son territoire revendiqué, mais aussi disposer du contrôle sur sa propre représentation politique. C'est pour cela que depuis la tribu jusqu'à la nation, le peuple s'arme pour se défendre tant des autres que d'une partie de lui-même. Et c'est aussi pour cette raison que la représentation militaire du peuple, reste instinctivement considérée comme la plus légitime à exercer son autorité, y compris sur le politique lorsque c'est nécessaire. Le glaive tranche tous les débats.

Comme il est parfois nécessaire d'illustrer une idée par son exagération pour mieux appréhender sa subtilité dans son quotidien, je nous propose un petit détour sur un exemple apocalyptique permettant d'anticiper ce qui adviendrait si la France devait subir une crise majeure. Admettons directement une guerre, comme ce qui est advenu en 1939, mais cette fois-ci, nous n'avons plus de pétrole, nous avons plusieurs villes rayées de la carte, le parlement a été détruit, le gouvernement est vacant, plus de la moitié de la population a été décimée par la faim ou les bombardements et nous sommes au premier jour de la paix.

D'une part, toutes les technologies et moyens de garantir leur alimentation en énergie ne seront pas réduits à néant sous prétexte d'une guerre majeure. Dans les campagnes et certaines villes, on aura été plus épargné ou solidaire. Ceux qui avaient un poste dans la fonction publique ou l'armée, auront continué même sans solde ou traitement, de faire fonctionner les institutions autant que faire se peut. Les gens disposant d'un savoir-faire, auront continué d'exercer celui-ci et seront même en situation de le valoriser après le conflit. Et c'est l'armée, qui en dernier recours, si le politique n'est plus en capacité d'exercer l'intendance, qui organisera la logistique pour ravitailler les populations, rétablir les institutions en souffrance, et l'état de droit si nécessaire. Même sans police disponible, le renégat d'un scénario à la Mad Max reconnaîtra lui-même l'autorité de l'Etat qu'il défie, s'il se trouve face à un soldat en uniforme. La police n'étant qu'une division juridique opérée sur la part légalement armée du peuple, pour assurer sa sûreté intérieure uniquement.

En clair, quand Max Weber explique que l'Etat jouit du monopole de la violence légitime à son propre profit, il ne témoigne que d'une autorité qui est consentie par les civils aux forces armées qu'ils nourrissent de leur propre chair, et qui en dernier recours, ont une extension politique et de justice. S'il faut passer par l'épée le traître que l'on rend responsable de l'effondrement de l'Etat et des millions de morts qui en ont auront découlé, il ne se trouvera aucun citoyen ou sujet pour contester le général qui prendra cette responsabilité. Le plus souvent et cela depuis Napoléon, l'Armée se borne à faire pression sans être sanglante. 

En Tunisie, ex colonie française, le 14 Janvier 2011, ce n'est pas la révolte populaire qui a précipité la destitution de Ben Ali, mais le fait que l'essentiel des officiers militaires ont contesté l'autorité de celui-ci jusqu'à lui suggérer de faire ses valises. Les civils n'ont pas pénétré le palais présidentiel pour chasser leur chef d'Etat. Tout s'est déroulé sur la confrontation entre quelques généraux disposant d'une réelle autorité sur leurs soldats, et la garde rapprochée du dictateur. Une fin de partie a été sifflée, l'oligarchie tunisienne a compris qu'elle n'avait plus de contrôle sur le consentement de cette partie de la nation, qui est pourtant armée au service de l'Etat. Cette dernière ne répond pas des turpitudes politiques de ceux qui prétendent représenter le peuple, mais joue au contraire un rôle essentiel dans la résistance à toutes les formes d'oppression. L'Armée tunisienne n'a pourtant pas pris le pouvoir, elle s'est bornée à créer les conditions de la vacance du chef de l'exécutif, la constitution tunisienne a fait le reste pour que s'opère la transition. L'institution militaire à bien l'observer, est un réel contre-pouvoir que les législateurs se refusent à distinguer pour tenter d'en garder le contrôle.

Face à cette contrainte purement légale, l'Armée a pour le coup une façon très latine et moderne d'opérer, et la France tout comme la vieille Carthage est indéniablement un pays qui procède d'une culture greco-romaine dans son ordre militaire et politique. A-t-on vu les révolutionnaires tunisiens s'inquiéter de ce soutien de l'Armée à leur colère ? En aucun cas, les soldats étaient eux-mêmes issus de la plèbe, et le peuple en arme commande.

Ce que M. Macron ne comprend pas lorsqu'il se permet de défier l'Armée qui conteste sa politique de démantèlement matériel et humain - et plus en profondeur l'utilisation douteuse de nos forces sur des conflits qui nous sont étrangers - c'est qu'il s'attaque se faisant à une institution qui a son propre mode de fonctionnement et sa propre représentation de l'autorité.

L'Armée ne valorise que le mérite et l'honneur pour se hisser à des responsabilités supérieures et juger les Hommes. Elle se montre exigeante avec elle-même pour satisfaire au bien être social, moral et sanitaire de ses soldats. Elle incarne dans sa forme primaire, une certaine idée de notre aspiration sociale. Elle est aussi une institution qui est intégralement incarnée par des jeunes Français qui à l'égal de tous les autres, sont plus ou moins bien informés des petites et grandes trahisons de nos élites politiques. Et il ne faut pas croire que les militaires sous prétexte d'un devoir de réserve, s'abstiennent de parler de politique en dehors de leur service. Nous sommes tous des êtres politiques. Fondamentalement. Les militaires ne font pas exception à la règle, ils jouissent d'une conscience.

Personne ne veut pourtant être le premier à défier la légitimité des mandatés de l'oligarchie financière, cela par principe de discipline. Mais l'autorité politique et militaire ne revêt cependant pas, encore une fois, d'une quelconque disposition constitutionnelle pour se maintenir dans le temps. Or, M. Macron semble parier sur l'apathie populaire et les artifices de sa communication pour établir ce qu'il croit être une "autorité", sans mesurer qu'il n'a aucun contrôle sur l'ensemble des forces d'opposition qui s'activeront durant tout son mandat à contribuer à sa chute. Il ne peut anticiper ce qui pourrait faire sens aux yeux du peuple dans les semaines et mois à venir, et générer des millions de manifestants et des usines à l'arrêt pour le forcer à la démission. Ce n'est pas parce que le peuple est léthargique depuis près de cinquante ans, qu'il ne se réveillera pas du jour au lendemain...

Dans ce cadre, avoir été assez idiot pour insulter l'institution militaire en faisant de celle-ci une variable d'ajustement budgétaire tout en déconstruisant la patrie pour la livrer à des intérêts étrangers hostiles, peut conduire à sa chute tout mégalomane aussi jupitérien et arrogant soit-il à la première insurrection civile venue.  L'Armée est en un certain sens, le juge de paix pour rétablir l'autorité de l'Etat et la paix sociale. Elle répugne à défier elle-même les roitelets illégitimes, mais si ce déficit d'autorité est acté dans la rue par la majorité du peuple, et que la capacité défensive de la France est par ailleurs jugée comme trop altérée par la chaîne de commandement, les généraux et officiers ayant l'autorité (réelle) sur des régiments sensibles, auront toute la latitude pour suggérer à l'usurpateur du commandement suprême, d'avoir l'obligeance de faire ses valises et démissionner de ses fonctions sans discuter. 

Depuis 1961, jamais plus l'Armée n'avait donné autant de signaux d'alarme sur un déficit d'autorité militaire du pouvoir politique. C'est la première fois depuis des décennies qu'un chef d'Etat-Major rend son képi, et si je m'abstiendrais de préjuger de l'action future du Général François Lecointre pour défendre les intérêts de la patrie, je regrette cependant le déshonneur paradoxalement nécessaire que cela laisse planer en ne faisant pas bloc derrière le Général Pierre De Villiers, cela par le refus discret ou ostensible de la charge.

Si aucun officier n'avait accepté de remplacer le Général de Villiers, la crise politique aurait pris une toute autre tournure, du fait d'une défiance cette fois-ci ostensible de l'ensemble des réels chefs militaires du pays. Macron aurait alors dû se soumettre à la réelle autorité de l'Armée sur des revendications bassement budgétaires, mais aussi sur le maintien d'un général au rang de chef d'état-major des armée à ses côtés, alors qu'il l'avait insulté publiquement. Ainsi, le Général Lecointre se trouve dans une position très inconfortable en assurant la continuité du haut commandement militaire de la France.

Deux signaux parmi beaucoup d'autres plus diffus dans le temps, témoignent que M. Macron sait déjà le caractère purement factice et illusoire de son "autorité".

D'une part, la haie d'honneur que les officiers du Ministère de la Défense ont organisé pour le départ du Général de Villiers. C'est une façon subtile et tout à fait fidèle à l'esprit de corps de faire passer un message politique au président de la République. D'une autre part, le fait que M. Macron s'est senti obligé de se justifier sur son autorité sur les armées pour la seconde fois le 19 Juillet 2017, sur la chaîne BFM Tv. Ce dernier a tenté d'évincer l'autorité du chef d'Etat-Major qu'il vient de nommer, sur la stratégie de défense et les moyens technologiques, humains (et par conséquent financiers) qui s'y adjoignent. M. Macron se prétend-il plus compétent que son propre chef d'Etat Major pour définir ce qui est nécessaire aux capacités opérationnelles des armées ? Dans quel régiment militaire M. Macron a t'il servi pour justifier d'une compétence supérieure sur un général d'armée quant aux besoins vitaux de celle-ci, pour assurer sa mission de défense ?

Du reste, notre dissuasion nucléaire a un coût, et il est du devoir du chef d'Etat-Major, d'informer la population dans le cadre des commissions parlementaires, si les crédits nécessaires au maintien de notre indépendance nationale sont clairement insuffisants. M. Macron oublie sciemment de rapporter qu'il est du devoir du parlement de contrôler l'action des ministres au regard des nécessités de fonctionnement de l'Etat. Concédons que lui et son équipe de campagne, n'a pas sélectionné les députés de "La République en Marche" parmi les moins opportunistes et cupides de nos concitoyens, valeurs habituelles des oligarchies naissantes ou régnantes. Il en a détruit une pour en créer une nouvelle de toute pièce, mais qui est toute aussi crasse et dévolue à ses propres intérêts particuliers que les fantômes de la précédente. Il sait obtenir (pour le moment) son consentement à son jeu de macabre destruction, mais là encore il ignore quelles pressions pourront être exercées sur les parlementaires dans l'avenir, ni des formes qu'elles prendront. M. Macron qui n'ignore pas les lois constitutionnelles en vigueur, oublie cependant que le commandement dont il dispose, ne tient qu'à la mesure que le peuple et son armée s'abstiennent de faire valoir leur union sacrée pour le renverser. Le pouvoir de n'importe quel chef d'Etat, y compris en France, est très relatif. Il ne tient que sur le consentement du peuple à son propre asservissement. Mais il y a des lignes de rupture qu'il n'est pas bon de franchir en sachant que la mémoire collective s'en nourrit pour exulter ses futures violences insurrectionnelles.   

Une autorité qui est manifeste ne se revendique pas, il ne faudra jamais cesser de le dire. Depuis la première guerre d'Irak, puis celle de Yougoslavie jusqu'à celles actuellement en cours en Afrique et au Moyen-Orient, l'armée française a du avaler toutes les couleuvres, que ce soit sur la légalité de l'usage de l'institution dans ces conflits, ou les moyens qui lui sont conférés pour les assumer. Le patriotisme qui est en outre une dimension culturelle forte dans la soldatesque et jusque dans les sphères de commandement, est une valeur constamment heurtée par les responsables politiques, tous soumis à une idéologie mondialiste et anti-France très éloignée de celle qui motive l'engagement des militaires.

Dans ce contexte de crise morale, politique et budgétaire, Macron a révélé son incompétence à mesurer son rôle d'arbitre et non de gamin capricieux,  pour garantir la solidité des institutions. Nous ne verrons pas forcément l'Armée aller plus loin dans sa grogne, mais si jamais elle trouve l'opportunité dans le cadre d'une révolte civile, de rappeler au président la relativité de son "autorité", il est probable qu'un certain nombre de généraux n'hésiteront pas à poser l'acte final de l'insurrection qui vient...

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