vendredi 26 août 2016

Qu'est-ce qu'être Français ?

A tort ou à raison, je m'engouffre ces derniers temps dans les quelques thèmes polémiques agités par les médias visant à nous détourner de questions bien plus essentielles. J'ai décidé d'élargir ma réflexion cette fois-ci au débat le plus casse-gueule qui soit et qui est pourtant le centre de gravité de l'essentiel de nos problèmes de démocratie et de vivre-ensemble en France. J'y soumettrai des propositions ouvertes plus que des avis arrêtés et exhaustifs. Il me faudrait sans doute pouvoir faire le tour du monde pour affiner cette réflexion, et l'on me pardonnera de manquer de perspective pour m'engouffrer sur un tel sujet : celui de l'identité culturelle des Français...

D'emblée, commençons par dire que contrairement à des normes réglementaires ou légales, rien n'est plus mouvant que la notion d'identité culturelle. En outre, cette notion évolue au fil des siècles, et il serait difficile de jurer que les repères culturels qui sont les nôtres aujourd'hui, soient à l'égal de ceux des Français d'hier. On peut donc postuler que ce qui établit une culture populaire d'un pays, ne peut se juger qu'à l'aune de repères contemporains. Au-delà d'un siècle ou deux de distance, beaucoup trop d'éléments nouveaux et de métamorphoses de la Société auront conduit à des mutations de ce socle culturel si difficile à identifier.

Pour autant, il est indéniable qu'être Français n'est pas seulement une question de citoyenneté, mais bien aussi de culture. Pourquoi nous estimons-nous dépaysés lorsque nous partons en voyage au Japon, au Mexique ou en Centrafrique ? Assurément parce que nous nous heurtons à des mœurs et des façons de penser qui peuvent relever de particularités individuelles en France, mais pas de conceptions partagées par l'essentiel d'entre nous. De la même façon, en quoi des étrangers qui visitent notre pays, pourraient eux-mêmes se sentir dépaysés ? Qu'est ce qu'ils identifient comme des spécificités relatives à une culture bien Française et à nulle autre pareille ? Pourquoi y a-t-il comme en ce moment des crispations identitaires sur la place de l'islam en France, là où de tels débats n'auraient aucun sens ailleurs ? Qu'est-ce qui explique qu'un pays aussi politisé que le notre puisse pourtant dépérir du désintérêt pour la politique des Français ? Nous pourrions ajouter une litanie d'interrogations sur les conditionnements intellectuels de notre peuple. Nous ne pourrons effleurer que la surface en entrant dans ce débat.

Établissons d'emblée que le premier des conditionnement est notre ordre juridique et politique. Par exemple, la laïcité a établi sans conteste une révolution mentale chez les Français : le désintérêt marqué pour une religion qui s'était pourtant installée jusque dans notre appareil d'Etat durant plus de 1500 ans. Le catholicisme n'inspire aujourd'hui qu'une minorité d'entre nous, et l'on peut extrapoler au fait que la majorité des Français de confession musulmane ne sont pas particulièrement pieux. Une très grande majorité ne fait pas les cinq prières quotidiennes exigées par leur religion, une minorité va régulièrement à la mosquée, et beaucoup boivent volontiers de l'alcool. Ce qui signifie que l'ensemble des Français ont un rapport de distance par rapport à leurs origines confessionnelles, quoi qu'on en dise, et qu'importe ce qu'une minorité très prosélyte voudrait à laisser entendre. Est ce que cela signifie que les Français manquent de spiritualité ou que la majorité sont athées ? Une étude récente laisserait à penser que non. Globalement un bon tiers de Français s'estiment athées (ce qui est déjà beaucoup), un autre tiers croit en une force supérieure sans y mêler le fait religieux, enfin l'on constate que même parmi ceux qui revendiquent volontiers leur appartenance à une religion, c'est encore une minorité qui se montre pratiquante. Nous avons donc bien une majorité de Français croyant en Dieu ou quelque chose approchant, mais aussi un désir de s'émanciper de toutes les doctrines religieuses que l'on considérera comme désuètes ou  contraignantes. La laïcité est un concept beaucoup plus ancien que certains de ses défenseurs "républicains" veulent bien laisser croire. La réflexion sur cette nécessité de vivre-ensemble était déjà introduite par Jean Bodin, homme contemporain des guerres de religions et de la St Barthélémy, comme le rappelle Jacques Sapir. On ne s'étonnera pas que durant les siècles qui ont suivi, les rois de France ne craignaient nullement de se fâcher avec les autorités religieuses, et que les Français contestaient de plus en plus fortement le pouvoir des Jansénites, magistrats appliquant de façon rigoriste la charia de l'époque à la sauce chrétienne. La quête de l'émancipation face à l'arbitraire religieux, n'est donc pas une considération relativement moderne pour les Français, mais bien un marqueur de notre identité culturelle qui trouve sa source dans des époques très éloignées de nous. Même s'il n'y a pas un rejet marqué de la religion, nous revendiquons notre émancipation face à son arbitraire du fait qu'elle fut un combat de plusieurs siècles. Le prosélytisme d'une quelconque religion sur la sphère publique est dès lors vécu comme une provocation. L’avènement de l'islam en France est ainsi particulièrement mal vécu, sans doute du fait qu'une partie de ceux qui revendiquent cette religion, en revendiquent aussi sa politisation sur l'espace public.

De l'éradication de l'arbitraire religieux dans nos vies, découle en partie "la légèreté" de nos mœurs. Nous aimons les choses douces de la vie et nous enivrons volontiers dans les plaisirs du marivaudage, de la sexualité et de certains psychotropes (le cannabis supplantant peu à peu l'alcool) et nous avons très souvent un regard assez dur sur ceux qui prétendent moraliser ce qui relève de notre vie privée. Le puritanisme n'a pas bonne presse en France, et d'ailleurs nous avons une réputation de peuple relativement libertaire aux yeux de beaucoup d'étrangers.

Mais paradoxe puissant, les libéralités que apprécions dans la sphère intime, nous les réfutons dans la sphère politique. Bien que nous ayons accepté les évolutions consacrant nos libertés individuelles, nous n'en sommes pas moins pour une majorité d'entre nous favorables à un Etat fort, gouverné au sens premier du terme par des dictateurs éclairés, comme en témoigne une autre récente étude sur le sujet. Les plus récents exemples marquant positivement dans nos consciences cette culture du chef charismatique, restent Georges Clémenceau et Charles De Gaulle. Mais ils font suite à une longue histoire politique centralisatrice et jacobine. Nous eûmes non seulement des rois pour nous gouverner durant des siècles, mais aussi des hommes d'Etat particulièrement saisissants de Richelieu à Colbert, en passant par Robespierre, Talleyrand et Léon Gambetta. Cette longue histoire politique de la France nous rappelle intuitivement que ce sont bien des hommes rares et voués corps et âme au bien public, qui sont le socle d'une gouvernance satisfaisante. Les Français sont d'avantage confiants en la capacité du pouvoir exécutif à produire des réformes conformes à leurs intérêts qu'en leur parlement. Au pays d'Etienne de la Boétie, l'anarchie comme doctrine politique n'a donc aucune chance de fédérer la majorité d'entre nous.

Une autre facette de notre culture est notre propension à haïr ce que nous sommes, tout du moins le dénigrer. Le gauchisme n'est pas issu de rien, et il faut bien en méditer la source. Commençons par faire remarquer que la France est très exposée dans sa vocation universelle par sa géographie. Notre pays situé à l'extrême ouest de l'Eurasie est largement tourné vers la mer. Au sud, la Méditerranée, à l'ouest, l'Océan Atlantique, au nord, la Manche et la Mer du Nord. Là où l'Allemagne et la Russie fondèrent leurs velléités impériales d'avantage sur des considérations continentales, la France préféra s'étendre au-delà des océans. Et cela induit un regard particulier sur notre rapport à l'autre. Les Russes et les Allemands ont dans leur histoire, envahit des espaces terrestres de manière progressive et jouxtant leurs frontières. Les distinctions culturelles qu'ils rencontraient au fur et à mesure de leur progression restaient proches de ce qu'ils connaissaient déjà en leur pays, si bien qu'ils se sentaient la légitimité d'imposer leur propre culture en prenant le parti pris que le reste du monde leur ressemblait. Les Français pour leur part, à l'égal des Britanniques ou des Espagnols, devaient traverser des mers et des océans, et se confronter immédiatement à des repères culturels et civilisationnels largement étrangers aux leurs. Ce qui impliquait l'obligation de s'intéresser aux peuplades colonisées, ne serait-ce que par logique militaire. Deux exemples me viennent ainsi immédiatement pour illustrer ce que cela a pu induire sur le temps long. Tout d'abord, les Musulmans Français d'Algérie qui à l'égal des populations des territoires d'Outre-Mer, bénéficiaient d'un statut particulier faisant d'eux des Français disposant de droits globalement équivalents aux métropolitains, mais sans citoyenneté reconnue. En revanche, on reconnaissait d'emblée leurs spécificités culturelles. Un autre exemple est la fondation de la culture créole. Pour qu'elle puisse exister, il fallut qu'un métissage tant culturel, qu'ethnique et linguistique se fasse. Ce qui suppose une relation beaucoup plus ouverte vis à vis des populations Africaines s'agissant de leurs anciens maîtres esclavagistes. Croire que seule la barbarie, le viol et l'oppression peuvent expliquer ces métissages et la genèse de la culture créole, serait faire fi de la complexité des relations qui pouvaient s'établir entre les enfants des maîtres esclavagistes et les enfants des esclaves. Les populations blanches et noires évoluaient sur un même territoire, parfois sans rapport de domination les unes par rapport aux autres. Il ne s'agit pas de nier les affres de l'histoire, mais en mesurer la complexité et les paradoxes du fait de nos humanités respectives. Si les Anglais n'étaient pas réputés se mélanger aux populations qu'ils supervisaient, ce ne fut pas le cas avec les Français. A l'égal des Espagnols et des Portugais, peut-être du fait de nos spécificités latines, sitôt le temps de la barbarie passée, nous revenions à nos aspirations pour les douceurs de la vie : le rhum que l'on boit en chantant, les amours naissantes entre insulaires indépendamment d'un statut socio-ethnique, et l'ivresse des sens. Il est donc vrai que le peuple Français a une propension à l'universalisme, et que celui-ci n'est pas forcément à sens unique, c'est à dire dans le rôle du grand civilisateur. 

Ajoutons un autre phénomène historique qui a largement imprégné nos consciences. En moins de 150 ans, nous avons perdu trois grandes guerres européennes, et deux coloniales, cela malgré notre toute puissance technologique et démographique. Il y a d'abord la guerre franco-prussienne de 1870-1871 où il ne fallut quelques mois à notre adversaire pour obtenir notre capitulation, assortie de la cession de l'Alsace-Moselle. Cette défaite fut vécue comme un réel traumatisme pour les Français. Traumatisme renouvelé lors de la première guerre mondiale, car nos propres forces et notre seul génie militaire et technologique, ne suffirent pas à remporter ce conflit. Non seulement nous dûmes chercher des dizaines de milliers de combattants dans nos colonies (les tirailleurs sénégalais), mais c'est bien en nous alliant à la Grande Bretagne et en obtenant le renfort de ses troupes aux frontières les plus au nord de la France, que nous parvînmes après des millions de morts dans les tranchées, à obtenir la reddition de l'Allemagne. Ce fut une victoire à l'arrachée, non une guerre éclair et glorieuse. Enfin notre défaite très rapide lors de la Seconde Guerre Mondiale jetant 10 Millions de civils sur les routes a achevé d'imprimer dans nos consciences que nous étions incapables de nous défendre seuls. Plus tard, c'est face à la résistance indochinoise puis algérienne que la France se retirera des territoires concernés, ce qui ajoutera à notre sentiment d'impuissance militaire.

Il faut cependant dire que ces guerres étaient bien plus souhaitées par notre représentation politique d'alors que par les Français eux-mêmes, exception faite de la première guerre mondiale qui avait un goût de revanche. Ce n'était pas spécifiquement notre survie qui était en jeu, mais des intérêts plus capitalistiques qu'autre chose qui avaient motivé ces sanglants conflits. Nous faisions la guerre contraints et forcés, sans réelle conviction. A l'inverse, les guerres napoléoniennes furent pendant un certain temps une succession de victoires militaires du fait que nous avions à la foi en un général charismatique pour les mener, mais aussi une révolution à exporter en plus d'une revanche à prendre sur l'Autriche. Les derniers conflits dans lesquels nous nous sommes projetés ayant largement saigné la France, ont eu pour effet de nous faire douter de nous mêmes. La France qui durant des siècles était la première puissance d'Europe (et pourrait tout à fait le redevenir) n'était plus que l'ombre d'elle-même. La République avait déjà annihilé notre prestige en tant que vieux Royaume, elle terminait désormais d'achever notre rang de de super-puissance militaire. Il y a donc une certaine logique lorsque l'on juxtapose une profonde tendance à l'universalisme et le sentiment de ne valoir plus rien lorsqu'il s'agit de livrer bataille, à ce que les générations qui ont forgé la France durant le dernier demi-siècle, se désintéressent de la patrie et cherchent à trouver dans l'autre, un pis-aller à notre propre sentiment d'exister et de compter sur la scène internationale. Ajoutons que des années de propagande visant à nous culpabiliser sur notre histoire, n'auront pu qu'ajouter à notre propre reniement. 

Culturellement, le Français d'aujourd'hui ne croit pas en son pays et désacralise ce qui fait sa singularité, et son désir d'exister en tant que peuple. 

Nous pourrions chercher d'autres éléments propres à notre culture contemporaine, et nous en trouverions aisément. Nous restons un peuple occidental, nous nous enorgueillons de nos intellectuels et versons même trop volontiers dans l'intellectualisme. On nous reproche parfois une certaine dose d'arrogance et de manquer de politesse. Des aspects beaucoup plus subtils encore de notre Culture pourraient trouver matière à être disséqués.

Je vous ferais grâce de poursuivre plus en avant cette introspection de ce que nous sommes, mais pour relever tout de même qu'il serait temps que nous nous reconnaissions comme étant un peuple à part entière et que cela devrait suffire à nous convaincre de faire corps pour résister à ceux qui veulent dépecer notre pays et nous retirer toute souveraineté. Si la France a malgré ses blessures, toujours réussi à maintenir son rang dans le concert des nations et influencer culturellement d'autres peuples sur des considérations politiques, c'est bien parce qu'il y a aussi du beau en nous. Nous devons nous y référer, car dans divers pays du monde, on se demande encore quand les Français redeviendront ce peuple révolutionnaire, inspiré, et en paix avec lui-même...


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