S'il
y a bien une chose que je n'imaginais pas étant enfant, c'est le
plaisir que je découvrirais à un âge de maturité qu'il y a à
ouvrir un Code Pénal, s'interroger sur la nature d'un crime, et
constater ce qu'en dit la loi et la jurisprudence.
La
philosophie, l'histoire et la sémantique faisant symbiose pour
déterminer si un fait peut réellement être qualifié de crime, et
ce qu'il devrait en coûter tant aux pauvres qu'aux puissants d'avoir
bafoué les règles que se donne une société.
Mais
voyez vous, j'ai mal à ma Justice. Car si elle peut se montrer
intraitable vis à vis de celui qui ne jouit ni de relations, ni de
la fortune pour adresser le juste châtiment en réponse à son
crime, la belle aveugle semble perdre sa cécité et transformer
l'impératif au conditionnel, dès lors qu'un modeste citoyen dénonce
les crimes des plus hautes autorités de son pays.
Je
souhaite vous conter l'histoire de ma rencontre avec le Droit.
J'espère que vous saurez me pardonner le temps de lecture que cela
vous impose, mais il m'a fallu du temps pour être apprivoisé par
une constitution, des traités et des codes, et je ne puis la résumer
en quelques lignes.
Tout
a commencé durant ma plus tendre enfance, même si je n'avais pas
conscience du chemin que cela me ferait prendre bien des années
après. J'étais un gamin passionné de sciences et de technologies.
Je m'acheminais vers ma première décennie de vie dans une banlieue
dortoir durant les années 80, et je nourrissais déjà des
interrogations sur le rapport qu'entretenait l'humanité avec sa
Terre nourricière. Aussi, je grandirais et fêterais l'avenue du
second millénaire en même temps que mes vingt ans, avec une
question en tête :
Tous
ces livres que j'ai lu, ces documentaires que j'ai visionné, ces
informations que j'ai écouté durant mon enfance et mon
adolescence ; tout ce savoir m'alertait que les matières
premières sont par nature limitées dans un monde fini. Et pour
autant, je constatais bien vivre dans une société de gaspillage, où
le libre échange était érigé en dogme, alors qu'il paraîtrait
plus rationnel au nom de la science et de la souveraineté
alimentaire des nations, de réguler notre consommation de pétrole.
Dans
ce cas, qui décide d'un tel modèle économique ?
Voila
monsieur, comment une question toute bête m'a amené à laisser de
côté pour un temps mon intérêt pour les sciences et technologies,
et rentrer dans l'antichambre de la Justice : la politique.
A
ce stade de mon histoire, je dois préciser que je suis issu d'une
génération pour laquelle les mots « gauche » et
« droite » n'ont d'autre sens que ce que
l'histoire peut bien nous en dire. Et l'histoire n'est pas censée
donner tort ou raison à telle ou telle idée, elle se contente de
décrire des faits passés. Je m'intéressais donc à la politique
avec l'innocence d'un jeune homme ayant beaucoup à apprendre, et
aucun idéal à défendre ou rejeter dans l'immédiat. Je souhaitais
juste comprendre le monde qui m'entourait, et plus encore qui
décidait de quoi.
J'élude
ici les lectures et recherches qui m'ont amené à mettre un nom sur
les institutions décidant du modèle économique. L'important étant
que j'ai fini par trouver, mais sans connaissance aucune du moindre
texte de droit à cette époque. A vingt-cinq ans donc, j'avais déjà
bien compris que des institutions comme l'OMC ou l'Union Européenne
imposaient la doctrine économique à suivre pour les États-membres
de ces institutions. Cette même année, le Président Jacques Chirac
me demandait mon avis sur la ratification du « Traité
Constitutionnel Européen ». Je
n'avais pas encore bien compris tous les enjeux et personne ne
m'avait lu dans mon auto-radio le moindre article de traité. Mais
intuitivement, je comprenais déjà qu'il valait mieux croiser le fer
contre l'Union Européenne, plutôt qu'accepter qu'elle se dote d'un
arsenal légal toujours plus coercitif contre les intérêts du
peuple Français. Je votais donc en défaveur du texte en m'amusant
des cris d'orfraie des politiciens et journalistes bien-pensants nous
prédisant l’apocalypse. J'apprendrais bien plus tard que cette
hystérie médiatique n'a en vérité rien d'amusant en démocratie...
Presque
trois années vont passer, et coup de tonnerre en Europe !
Malgré deux référendums ayant opposé à ce projet de traité un
non ferme (en France et aux Pays-Bas), M. Sarkozy piétine le choix
souverain du peuple Français et ratifie le traité de Lisbonne,
copie presque conforme du Traité Constitutionnel Européen. Mon avis
sur le caractère « démocratique » de l'Union Européenne
s'était déjà largement dégradé entre temps, mais c'est à ce
moment là qu'un mot va se graver désormais dans mon esprit pour ne
plus jamais être effacé :
DICTATURE !
Moins
d'un an après cette forfaiture, la Banque Lehman Brothers s'effondre
aux États-Unis d'Amérique et bien vite, la crise financière
s'exporte en Europe. A cette époque, cela faisait déjà quelques
années que j'avais jeté mon téléviseur. Désormais, j'allais
moi-même chercher l'information sur les médias étrangers
(particulièrement Suisses, Anglais et Russes) ou alternatifs. Je
suivais sur les réseaux sociaux les publications de quelques
personnalités politiques ou économistes dénonçant les décisions
de la Commission Européenne. Bref, je n'étais désormais plus un
temps de cerveau disponible à
qui l'on faisait ingurgiter une certaine propagande tour à tour
angélique sur l'Union Européenne et les guerres occidentales dans
le Monde, et anxiogènes s'agissant des personnes ou idées
s'opposant à ces décisions.
C'est
de cette façon que je finis par tomber sur l'enregistrement vidéo
d'une conférence donnée par un type tout à fait étrange.
Inspecteur Général des Finances, brillant élève de H.E.C et de
l'E.N.A, à priori, ce garçon là allait me raconter la même pensée
unique qui sied tant aux hauts fonctionnaires de notre pays. Ce
Monsieur (dont je tairais le nom) allait vite me surprendre et
renverser totalement la table européenne sous mes yeux. Et pourtant,
il sera méthodique. Article de traité après article de traité, le
voilà qui énumère ce qui décide des dérégulations qui
appauvrissent notre pays, et organise le gaspillage le plus
monumental de ressources financières, énergétiques et matérielles
depuis la dernière guerre mondiale.
Voila
donc ma première rencontre avec le Droit, Monsieur. Cet homme
invitait à ce que l'on se joigne à lui dans le parti politique
qu'il avait fondé, pour sortir de l'Union Européenne, l'euro et
l'OTAN. Après quelques semaines de réflexion et de recherche, je le
rejoins. Et je découvre pour la première fois de ma vie ce qu'est
le militantisme politique et les frustrations qui vont avec. Je
préfère taire celles-ci et simplement signifier qu'au bout de
quelques mois, j'ai claqué la porte de son parti politique avec un
constat sociologique bien vite appris : les partis politiques
fonctionnent à l'égal des religions. Certains militants ne jurent
plus que par la bible de leur parti et haïssent adversaires et
partenaires objectifs. D'autres plus modérés se disent que le grand
soir finira bien par arriver et que leur prophète sera enfin entendu
(invité) dans les médias. Et certains dont je faisais parti, ne
voyaient dans un parti politique qu'un banal outil pour véhiculer
des idées, rien de plus.
Mais
voilà, nous sommes déjà en 2012 quand cette période de ma vie
s'achève et depuis 32 années que je vis ici-bas, je n'ai pas
souvenance d'un grand soir électoral. Celui qui aurait fait table
rase des dogmes économiques prévalant depuis le début des années
70. Celui qui aurait évincé les oligarques s'accaparant le pouvoir
sans partage. Celui qui aurait permis au peuple de modifier voire
changer lui-même de constitution pour reprendre le chemin de la
démocratie.
En
revanche, quand on a dépassé l'âge de trente ans, on conscientise
fortement le caractère éphémère et fragile de sa propre vie. Nos
vingt ans sont désormais derrière nous, ils ne reviendront jamais
plus. Nous ne sommes que des étincelles dans les abîmes du temps,
et les sursauts historiques ne se nourrissent pas de la continuité
d'un ordre établi, mais bien de la témérité et la foi de quelques
femmes et hommes pour braver les puissants.
J'ai
donc commencé à étudier les révolutions...
Et
ce fut ma seconde rencontre avec le Droit. La plus belle. En effet,
de cette garce, je n'avais connu que la littérature valant
oppression, règles arbitraires se superposant aux référendums,
déni de démocratie, ré-écriture de l'histoire, duperies sur la
liberté d'expression. Et puis, je me suis souvenu de la déclaration
des droits de l'homme de 1789 :
« Le
but de toute association politique est la conservation des droits
naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté,
la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ».
Alors quoi ? La
Résistance à l'oppression est donc un droit constitutionnel ?
Les hommes ont donc bien le droit de s'insurger contre leurs
gouvernements ? Mais comment ? Dans quelles limites ?
Quelle intensité et face à l'imminence de quels périls ?
De lectures en conférences,
de recherches en réflexions, j'ai alors épluché l'oignon du droit
légitimant l'insurrection. Le législateur n'avait aucune raison de
trop en dire ou le codifier, surtout contre lui-même, c'est entendu.
Mais il s'est toujours trouvé quelques parlementaires, juges et
philosophes dans l'histoire, pour décrire ce Droit Naturel. De
Socrate à Robespierre, la philosophie va s'immiscer dans la loi. La
Constitution de 1793 voit dans la Déclaration des droits de l'homme
lui faisant préambule le célébrissime article 35 apparaître :
« Quand
le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour
le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits
et le plus indispensable des devoirs ».
La
loi fondamentale Allemande aussi s'en fait l'écho dans son article
20 :
« La
République fédérale d’Allemagne est un État fédéral
démocratique et social.
Tout
pouvoir d’État émane du peuple. Le peuple l’exerce au moyen
d’élections et de votations et par des organes spéciaux investis
des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
Le
pouvoir législatif est lié par l’ordre constitutionnel, les
pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit
Tous
les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait
de renverser cet ordre, s’il
n’y a pas d’autre remède possible ».
Et puis le Code Pénal enfin
sur l'état de nécessité :
« N'est
pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel
ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un
acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf
s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de
la menace ».
Dans le droit international,
on parlera aussi d'état de nécessité, voire de cas de force
majeure. Mais paradoxalement, c'est la loi fondamentale Allemande qui
va m'inciter à éplucher le Code Pénal. En effet, le Germain est
rigoureux, et quand il signifie « s'il n'y a pas d'autre
remède possible », il nous invite à d'abord chercher tous
les remèdes existants dans un État de Droit. Plus encore, il nous
impose de justifier implicitement l'oppression à laquelle un peuple
fait face pour légitimer son insurrection.
Les affaires de corruption,
d'évasion fiscale, de détournements de biens sociaux pourraient en
soi suffire à démontrer le délitement de l’État. De même,
quand dans le droit positif, la déclaration des droits de l'homme de
1793 dispose que toute souveraineté émane du peuple, et
qu'elle est une et indivisible, imprescriptible et inaliénable,
je pourrais m'arrêter là et crier à l'oppression !
Philippe Séguin avait dit lui-même dans son discours du 5 mai 1992
que le Traité de Maastricht était « l'anti-1789 ».
Je pourrais encore évoquer le fait qu'une réforme
constitutionnelle n'est pas rétroactive, et qu'à l'époque de la
ratification du Traité de Lisbonne, ce qui faisait foi s'agissant de
la nature du référendum, c'était la Convention de Venise qui
disposait qu'il fallait attendre cinq années avant de pouvoir
soumettre au législateur un texte refusé par le peuple au travers
d'un Référendum. Que l'article 11 de la Constitution n'avait alors
pas été modifié en congrès, et qu'à cette époque, ça n'était
pas deux ans qu'il fallait attendre, mais bien cinq !
Je pourrais tout aussi bien
hurler que l'élection n'est pas de la nature de la démocratie,
comme l'écrivait si bien Montesquieu. Seuls les plus riches ou les
gens de réseaux peuvent s'offrir les caméras et le budget d'une
campagne électorale.
Mais le magistrat est
tatillon. Il ne considère l'oppression (autre mot pour définir le
crime de lèse-Nation) qu'à partir d'un ensemble de lois
incontestables et parfaitement explicites. La philosophie du Droit
n'est qu'un plaisir privé, pas un socle intellectuel pour rendre
justice.
Pour justifier l'oppression,
il me fallait donc me poser la question suivante :
Qu'est ce qui est de
l'ordre d'une décision politique parfaitement légale, et qu'est ce
qui est de l'ordre du crime pour un Président de la République, un
Ministre, ou un Député ?
Et c'est ici que se termine
mon histoire Monsieur, car je vous livre en plus de ce courrier, la
copie d'un
autre envoyé à Françoise Canivet, Présidente de la Commission
des requêtes. Je vous l'envoie comme certains jettent une bouteille
à la mer, car j'apprécie vos réflexions et nourris quelques
espérances sur votre indépendance d'esprit.
Je n'ai qu'un brevet des
collèges en poche et je ne deviendrais jamais avocat ou magistrat, cela malgré mon intérêt tardif pour le Droit. Si ma fortune avait été
toute autre, j'emploierais toutes les possibilités d'une telle
fonction pour instruire le procès non pas politique mais bien
criminel d'un triste sire se rendant coupable d'intelligences avec
des puissances étrangères, et visiblement déterminé à enfoncer
la France dans des remugles historiques dont nous nous passerions
volontiers à l'ère nucléaire.
Aujourd'hui, je me demande
pourquoi des magistrats et avocats qui connaissent le droit bien
mieux que le modeste citoyen que je suis, ne défendent pas le peuple
contre les fous qui le malmènent ? Comment la Justice de notre
pays a-t-elle pu laisser des politiciens nous déshabiller d'une
Souveraineté reconnue comme une et indivisible, inaliénable et
imprescriptible ?
Est
ce que le premier pilier de la démocratie est aussi
un
Droit que le législateur peut aliéner impunément ?
Je ne suis pas sûr d'avoir
un jour réponse à cette question Monsieur. Mais si aucun ténor du
barreau ne vient défendre le peuple et énoncer l'acte d'accusation
contre l'oligarchie qui prétendait l'asservir, alors je crois qu'il
sera pour le peuple, le plus sacré des droits et le plus
indispensable des devoirs que de résister à l'oppression, sans plus attendre que la Justice le soutienne.
Je suis parfaitement
conscient de la dualité existante entre les libertés fondamentales
et ce qui fait un État de Droit, Monsieur. Actuellement, c'est
l’État de Droit qui se délite au point que le Droit Naturel
revient frapper à nos portes. Je vous serais gré de bien vouloir
défendre ces deux nécessités. Il y-a désormais urgence, une
sourde rumeur gronde dans les chaumières...
Puisse mon appel être
entendu,
Respectueusement,
Sylvain Baron
pour les Décrocheurs...